Le Burkina Faso vient de connaître son second coup d’État en huit mois. Les nouveaux putschistes sont apparus à la télévision nationale (RTB) pour annoncer que le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba était démis de sa fonction de président de la transition. Il ne semble pas cependant que ce coup force soit soutenu par l’ensemble de l’institution militaire. Ce nouvel épisode illustre l’instabilité croissante du pays confronté à une profonde dégradation sécuritaire.
Le vendredi 30 septembre, la confusion était à son comble. Des coups de feu ont retenti dans le camp militaire Baba Sy. Les premières informations faisaient état d’une mutinerie, quelques heures plus tard alors que des militaires prenaient possession des endroits stratégiques de la capitale Ouagadougou. Une déclaration était lue à la RTB par le capitaine Kiswendsida Sorgho annonçant la prise de pouvoir par une nouvelle junte.
La progression des djihadistes
L’élément principal du déclenchement de ce second coup d’État est le bilan désastreux de Damiba. Si, lors de sa prise de parole le 4 septembre, le lieutenant-colonel s’est lancé dans un exercice d’autosatisfaction, il n’a convaincu personne. Pas même lui, puisqu’il a limogé son ministre des Armées pour occuper ce poste en sus de la présidence de transition. De tous les pays du Sahel, le Burkina Faso est celui qui connaît la plus forte augmentation des attaques des deux groupes islamistes : le JNIM, affilié à Al-Qaïda, et l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS). Dix régions, sur treize que compte le Burkina Faso, sont touchées. Les opérations des combattants islamistes se traduisent par le contrôle de zones dans plusieurs régions du pays. C’est ainsi que le JNIM assoit son pouvoir sur une grande partie des provinces du Louroum et du Yatenga situées dans le nord du pays et avance vers la capitale Ouagadougou. Le JNIM progresse également vers la seconde ville du pays, Bobo-Dioulasso, à partir de la région des Hauts-Bassins. Quant à l’EIGS, il maintient toujours son emprise sanglante sur la région des trois frontières. Les djihadistes ont adopté une nouvelle stratégie qui se révèle particulièrement efficace. Ils s’attaquent aux réseaux routiers et perturbent ainsi l’approvisionnement des grandes villes du pays.
Le nouvel homme fort
Les auteurs du second coup d’État auraient, disent-ils, à plusieurs reprises exprimé leurs désaccords sur la façon dont les opérations étaient menées. Ils avaient proposé en vain des mesures alternatives visant à restructurer l’armée. Tout cela traduit de profondes divisions au sein de l’appareil militaire qui existent depuis l’époque de Compaoré et qui perdurent. Le nouvel homme fort Ibrahim Traoré est un capitaine. Il est chef d’artillerie du Dixième Régiment de commandement d’appui et de soutien à la caserne de la ville de Kaya. Il avait soutenu le putsch de Damiba. Depuis plusieurs mois, il considérait que le lieutenant-colonel avait failli à sa mission, celle de restaurer la sécurité et l’intégrité du territoire. De plus, sous prétexte de réconciliation, l’ex-président de la transition avait invité Compaoré, pourtant condamné à perpétuité en avril dernier pour le meurtre de Sankara en 1987, à Ouagadougou et l’avait laissé repartir en Côte-d’Ivoire. Certains dans l’armée lui reprochent un exercice du pouvoir de plus en plus clanique. Damiba avait nommé dans les principaux postes de l’État des militaires issus de sa promotion, la 92.
Les questions en suspens
Les nouveaux putschistes ont égrené les premières mesures devenues classiques pour un coup d’État : instauration d’un couvre-feu, fermeture des frontières, dissolution du gouvernement et de l’Assemblée nationale de transition, suspension des activités des partis politiques et des organisations de la société civile. Ils assurent que les forces vives de la nation seront convoquées prochainement pour la mise en place d’un président de la transition, civil ou militaire, sans donner toutefois les modalités de cette désignation.
Quelles alliances, notamment militaires, veulent nouer les nouveaux dirigeants du pays ? On sait que les relations entre les forces burkinabé et l’armée française sont loin d’être au beau fixe. Le chef d’état-major particulier de Macron, l’amiral Jean-Philippe Rolland, a dû se rendre récemment au « pays des hommes intègres » pour tenter d’apaiser les tensions. Depuis, les manifestations antifrançaises se multiplient.
Toujours est-il que la défense des libertés démocratiques malmenées par Damiba reste d’actualité, en particulier la libération de Kambou Ollo Mathias dit Kamao. Ce dirigeant du Balai citoyen, organisation qui avait largement contribué à la chute de la dictature de Compaoré, risque six mois d’emprisonnement pour outrage au chef de l’État.