L’échec du coup d’État conduit par le général Godefroid Niyombare n’aura pas entamé la mobilisation populaire contre le troisième mandat que tente d’imposer Nkurunziza à son pays.
Le pouvoir au Burundi reste des plus fragiles. La démission de deux membres de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) qui en compte cinq, est révélatrice de la crise profonde que traverse le régime. Spes-Caritas Ndironkeye, vice-présidente, et Illuminata Ndabahagamye, en charge de l’administration et des finances de cette instance, ont expliqué leur geste en déclarant que « le contexte politico-sécuritaire du moment [qui] n’offre pas les conditions requises à l’encadrement de cet événement majeur pour le peuple burundais ».
Au niveau international, les principaux bailleurs de fonds ont suspendu leur aide au processus électoral, et les pays limitrophes voient d’un mauvais œil la crise burundaise qui risque fort de déstabiliser une région bien fragile.
Déjà, c’est par dizaines de milliers que les Burundais, victimes des agissements des Imbonerakure, la milice du parti au pouvoir, le CNDD-FDD, fuient le pays pour se réfugier au Rwanda, en RDC et en Tanzanie, dans des camps où les conditions de vie sont épouvantables.
Le pouvoir s’entête et s’engouffre dans une spirale répressive en assimilant tous les opposants aux putschistes. Le scénario reste le même : pour empêcher les manifestants des quartiers populaires de rejoindre le centre de la capitale Bujumbura, les forces de police répriment toute tentative de rassemblement, n’hésitent pas à tirer sur les manifestants et à lancer des grenades lacrymogènes dans les maisons, occasionnant des incendies. On comptabilise plus d’une trentaine de morts et des centaines de personnes arbitrairement détenues.
Approfondir la mobilisation
Le report des élections de six semaines proposé lors de la réunion de Dar es Salam par les dirigeants des pays d’Afrique de l’Est ne règle en rien la question. Tout au plus, elle donne un répit supplémentaire à l’opposition pour amplifier la mobilisation qui doit prendre également à son compte des aspirations sociales d’une population dont 67 % vit sous le seuil de pauvreté, avec un taux de malnutrition de 75 %.
La question de la réforme foncière, ainsi que celle des mesures de soutien économique à l’agriculture, sont cruciales pour un pays où 90 % des habitants vivent de la terre.
Il est peu probable que Nkurunziza entende raison... Persuadé d’être choisi par Dieu pour conduire le Burundi, l’avis de son peuple ne compte pas. Son entourage est prêt à la politique du pire, en jouant la carte ethnique dans un pays où les conflits entre Hutus et Tutsis ont provoqué des centaines de milliers de morts.
Signés en 2000, les accords d’Arusha ont eu le mérite de mettre fin à la guerre civile en organisant le partage du pouvoir entre les différents segments de la population, tant au niveau communautaire que politique. À partir de 2010, Nkurunziza n’a eu de cesse de torpiller ces accords en instaurant progressivement un régime dictatorial.
Mais la page semble se tourner. En effet les mobilisations exceptionnelles qui ont lieu dans la capitale pour conquérir la démocratie sont à l’image des luttes qui se déroulent sur le continent contre les potentats qui tentent de s’éterniser au pouvoir. Ces luttes sont non seulement des coups de boutoir contre la dictature, mais elles construisent et renforcent aussi l’unité d’une population trop longtemps divisée par des élites corrompues. D’une certaine manière, la rue est en train de faire vivre les accords d’Arusha.
Paul Martial