Ce dimanche 30 juin, il y aurait eu entre 14 et 33 millions de manifestants pour exiger la chute de Morsi. Bien plus que lors des 18 jours cumulés de la révolution de janvier 2011. Probablement la plus grande manifestation de l'histoire de l'humanité ! Ses principaux organisateurs ont donné un ultimatum à Morsi le mardi 2 juillet à 17h pour « dégager », faute de quoi ils appelleraient à une grève générale illimitée et un mouvement de désobéissance civile jusqu'à ce qu'il tombe. La veille, l'armée lançait à son tour un ultimatum de 48h à Morsi pour satisfaire les demandes du peuple, sinon elle prendrait le pouvoir. Aussi nombreux que la veille, le peuple a à nouveau envahi les rues pour dire sa joie et fêter « l'appui » de l'armée.De son côté, Morsi, dénonçant la menace de coup d’État de l'armée, a répondu qu'il ne partirait pas, ayant la légitimité électorale. Les Frères Musulmans et la majeure partie de leurs alliés islamistes ont appelé les Égyptiens à défendre dans la rue le pouvoir élu.Manifestations de fêteLes manifestations du 30 juin et du 1er juillet ont surtout été marquées par leur aspect festif. Il y a eu très peu de violences. Une vingtaine de morts et des centaines de blessés, ce n'est pas rien, mais c'est peu par rapport au nombre de gens dans la rue. Et surtout ces violences ont été du seul fait de contre-manifestants islamistes.Les gens, venus par familles entières à leur première manifestation, étaient tout simplement heureux de se voir si nombreux, chantaient, dansaient, riaient, lançaient des feux d'artifice, voyant dans leur nombre, puis l'ultimatum de l'armée, la fin du régime de Morsi.Le slogan principal, crié par ces millions à l'attention de Morsi, était direct : « Dégage ! » Mais aussi « Nous voulons des femmes à tous les postes du gouvernement », « Musulmans et chrétiens ensemble sont la révolution »...Manifestations de colèreColère sociale d'abord : le dimanche étant travaillé en Égypte, les usines, bureaux et magasins étaient fermés. Pas plus de 10% de présence dans la plus grande usine d’Égypte à Mahalla. Les manifestants étaient d'abord là parce qu'ils n'en peuvent plus du chômage, du manque d'argent, des coupures d'eau et d'électricité, de la pénurie d'essence... Les manifestations ont cristallisé les milliers de protestations à caractère économique et social qui, depuis le début de l'année, ont atteint un record mondial.Politique ensuite : beaucoup dénonçaient le soutien d'Obama aux Frères Musulmans : « Réveille-toi Amérique, Obama soutient un régime fasciste en Égypte. » Ce qui vaut pour tous les régimes occidentaux...C'était également un avertissement lancé aux dictatures islamistes arabes et simplement à toutes les dictatures. « Qu'ils regardent et qu'ils tremblent » criaient les manifestants.Manifestations de défianceLe 30 juin impose une démocratie directe qui démet de ses fonctions les dirigeants qui ne tiennent pas leurs promesses. La démocratie de la rue est plus forte que la démocratie des bulletins de vote.Bien sûr, la grande majorité a applaudi les militaires, en particulier après leur ultimatum. Mais bien d'autres criaient « Ni Frères ni armées ». Ils applaudissent le soutien de l'armée mais ne veulent pas de son règne. La révolution a jugé qu'elle ne pouvait à la fois affronter les Frères Musulmans et l'armée, et a préféré utiliser leurs divisions.Mais si l'armée prenait le pouvoir sans respecter la volonté populaire, elle pourrait bien perdre ses soldats, en trouvant devant elle, non seulement de très nombreux militants qui ont fait l'expérience de sa violence, mais aussi des centaines de milliers de personnes qui criaient le 1er juillet « Nous ne sommes plus des moutons ».Et maintenant ?L'ultimatum populaire finit le 2 juillet à 17h, celui de l'armée un peu plus tard. En lâchant Morsi, l'armée veut réitérer son coup de 2011, lorsqu'elle avait largué Moubarak pour empêcher le peuple de le « dégager » au travers d'un soulèvement qui pourrait déboucher sur bien plus.Mais la situation n'est plus la même. La résistance des Frères Musulmans pourrait avoir des effets imprévus. Dans plusieurs villes, les manifestants ont anticipé la désobéissance civile générale en assiégeant les sièges des gouvernorats. Alors, soit l'armée intervient pour éviter le « chaos », soit le peuple lui-même chasse les Frères Musulmans, et pas seulement Morsi, de tous les postes qu'ils occupent. Ou, un peu des deux comme cela s'est passé à différents endroits.Quoi qu'il en soit, ce deuxième soulèvement marquera une forte étape dans la conscience politique des Égyptiens. Et dans le monde. Son message d'une révolution qui continue et s'approfondit sera plus entendu sur le globe qu'il y a deux ans, à l'heure où, du Brésil à la Turquie, de la Grèce au Bangladesh, les peuples ont commencé à se soulever.La révolution ne fait que commencer.Jacques Chastaing