Publié le Jeudi 4 juillet 2019 à 16h27.

Course aux armements et rivalités inter-impérialistes

« Mohamed Ben Salmane fait un boulot spectaculaire » : ainsi s’est exprimé Donald Trump lors du sommet du G20, organisé à Osaka (Japon) les 28 et 29 juin, sans susciter de commentaires de la part des autres participants. Pire encore : le sommet a acté que sa prochaine réunion se tiendrait, en 2020, à Ryad, capitale du royaume d’Arabie saoudite. La sale guerre contre le Yémen, les exécutions d’opposants (dont celle, très médiatisée, du journaliste Jamal Khashoggi), les détentions arbitraires n’y auront rien fait : Mohamed Ben Salmane est le bienvenu dans les cénacles des puissants, où l’on salue même, avec une ironie morbide, la qualité de son « boulot ».

Course aux armements

Rien d’étonnant, finalement, quand on regarde le monde tel qu’il va, avec le développement des régimes autoritaires et la fièvre militariste. La mondialisation capitaliste traverse une crise économique, sociale et politique historique, qui peut faire dire à un Vladimir Poutine goguenard que « le libéralisme est obsolète », et qui se traduit entre autres, depuis plusieurs années, par une remontée des tensions inter-impérialistes, avec des grandes puissances bien décidées à ne pas se contenter d’un statu quo qui ne sied plus à personne. Les États-Unis de Trump sont à cet égard un cas d’école : des mesures protectionnistes de plus en plus agressives pour « protéger le marché intérieur », mais des visées impérialistes maintenues, voire étendues, du Moyen-Orient à l’Asie pacifique en passant par l’Amérique latine. 

Sommes-nous à la veille d’une conflagration militaire mondiale ? Il serait hâtif d’en arriver à cette conclusion alarmiste. Force est toutefois de constater que la course aux armements a bel et bien été relancée, avec une augmentation spectaculaire des dépenses militaires mondiales et, partant, un marché de l’armement en pleine expansion. Selon un rapport de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI) publié en avril dernier, on note ainsi, entre 2017 et 2018, une hausse globale de 2,6 % des dépenses militaires à l’échelle de la planète. Dans le détail, les dépenses militaires US ont augmenté pour la première fois depuis sept ans, de 4,6 %, celles de la Chine, adversaire désigné de Trump, de 8,1 %, celles de l’Europe centrale de 12 %, celles de l’Amérique centrale de 8,8 % et celles de l’Europe occidentale de 1,4 %. Des disparités mondiales éloquentes puisque, dans le même temps, les dépenses militaires de l’Afrique subsaharienne baissaient de 11 %, celles de l’Afrique du Nord de 5,5 % et celles de l’Océanie de près de 3 %. Au cours des 10 dernières années, on note une progression de 29 % pour l’Inde, de 73 % pour le Pakistan, de 27 % pour la Russie, de 28 % pour la Corée du Sud, etc. 

Guerre froide, guerres chaudes

Ces dépenses ne sont pas uniquement destinées à la modernisation des armées (particulièrement spectaculaire en Russie et en Chine) ou à la dissuasion, mais bel et bien à des interventions militaires concrètes. On se souviendra ainsi que, malgré les promesses non-interventionnistes de Trump, les États-Unis sont toujours aujourd’hui engagés directement dans sept conflits (Afghanistan, Irak, Syrie, Yémen, Somalie, Libye, Niger) ; que la Russie, quelques années après la guerre en Crimée, a déployé des moyens militaires conséquents pour venir au secours de son allié Bachar al-Assad ; ou encore que la Turquie, dont les dépenses militaires ont augmenté de 24 % (!) en 2018, a multiplié ces derniers temps les interventions contre les zones kurdes, entre autres et notamment contre le canton d’Afrin en Syrie. 

Des guerres chaudes sur fond de guerres froides entre puissances mondiales et/ou entre puissances régionales, l’exemple le plus flagrant de ce dernier type de conflit étant la guerre froide entre Iran et Arabie saoudite, qui interviennent militairement hors de leurs frontières pour préserver ou étendre leurs zones d’influence, s’affrontent par groupes satellites interposés, et somment chaque pays de la région de choisir son camp, dans une région où l’État d’Israël multiplie lui aussi les interventions et tire vers le haut les dépenses militaires et la course aux armements.

Et la France n’est pas en reste, qui se place sur le podium des exportateurs d’armes et se classe 5e au niveau des dépenses militaires, juste derrière l’Inde. Une France qui, même si elle n’a pas les ambitions des États-Unis, de la Chine ou de la Russie, fait partie de ces grandes puissances qui n’hésitent pas à mettre le monde à feu et à sang pour défendre ou étendre leurs intérêts. Des puissances qui font planer aujourd’hui bien des menaces, avec des risques réels d’explosions aux conséquences difficilement mesurables, mais qui imposent aux forces progressistes de renforcer leurs positions internationalistes et anti-impérialistes. 

Julien Salingue