Avec des personnes contaminées aux USA et en Espagne, voilà la grande peur et la tentation de fermer les frontières. Et ce qui devrait être un non-événement, la prise systématique de température à l’arrivée du vol Conakry-Paris, prend des allures de ligne Maginot. En oubliant qu’elle était déjà pratiquée au décollage, et qu’elle est décrite par toute la communauté scientifique comme peu efficace...
Cela masque les véritables enjeux. Depuis des mois, Médecins sans frontières (MSF) dénonce la « coalition de l’inaction ». Mais la déclaration en septembre d’une « urgence sanitaire mondiale » par les grands de ce monde n’a pas radicalement changé la donne. Le virus Ebola continue sa progression, faute de moyens investis dans les deux piliers de la lutte contre le virus que sont l’isolement des patients et le suivi des cas contacts.Selon Tarik Jasarevic, porte-parole de l’OMS, seuls 21 % des besoins en lits sont satisfaits au Liberia, 29 % en Sierra Leone et 50 % en Guinée. Les malades restent donc chez eux et infectent de nouvelles personnes. Il manque cruellement informations, moyens, équipes pour les enterrements sécurisés. En Sierra Leone, la moitié des gens s’infectent encore au contact des mortEs. Alors, le virus continue sa progression : le nombre de malades double toutes les quatre semaines.
Profit des trusts et austérité des ÉtatsC’est toujours l’ONG Médecins sans frontières qui est aux avant-postes de la lutte contre Ebola, et pas l’OMS. Tout un symbole. La crise financière internationale et l’absence de menace sanitaire de grande ampleur sur les pays occidentaux ont réduit comme peau de chagrin les contributions étatiques à l’OMS, qui a vu la part la plus importante de ses financements passer des contributions des États aux dons des fondations, licenciant au passage plus de 300 personnes. Pire, le Dr Ballou, chef du programme de recherche sur le vaccin contre Ebola chez GlaxoSmithKline a reconnu sur la BBC qu’en mars dernier, alors que l’épidémie d’Ebola avait déjà commencé, l’OMS et la firme pharmaceutique étaient tombés d’accord sur l’inutilité de développer le vaccin, et la nécessité de continuer « une simple surveillance de l’épidémie »... La « coalition de l’inaction » dénoncée par MSF a un nom : le profit des trusts, l’austérité des États, avant la santé du monde !Une accusation qui vaut aussi pour les contaminations aux USA et en Espagne à partir de personnes hospitalisées. Le Center for Disease Control d’Atlanta s’interroge sur une faille dans les protocoles. Le plus important syndicat d’infirmierEs américain National Nurses United lui répond : « Il n’y avait pas de protocole, pas de formation, pas de matériel adapté »... Les tenues ne protégeaient pas une partie du visage et du cou, alors il a fallu mettre du ruban adhésif pour compenser les équipements de protection inadéquats ! Malgré les protestations du personnel, le malade est resté des heures dans une zone d’attente avec d’autres malades, au risque de les infecter. Les prélèvements sont passés sans protection particulière à travers le système de tubes de l’hôpital, avec la risque de contaminer celui-ci.En Espagne, le service des maladies infectieuses de l’hôpital madrilène Carlos III où a eu lieu la contamination était en cours de fermeture cet été. Il a réduit de 12 % son personnel en 2013, à l’image du système de santé espagnol victime de l’austérité qui a perdu 28 500 emplois en deux ans. Il faut sauver les riches, la sécurité des personnels face à Ebola attendra.
Frank Cantaloup