De nombreuses personnes en Italie se sont réveillées le 10 octobre — après l’assaut fasciste contre le siège national de la CGIL à Rome — avec un très mauvais goût dans la bouche. Malgré les tentatives, parfois réussies, de réécrire l’histoire italienne ces dernières années, le fascisme continue en effet de susciter la peur, l’indignation et la consternation, en particulier dans la classe ouvrière.
Une semaine plus tard, des dizaines et des dizaines de milliers de personnes ont manifesté à Rome. La police – celle-là même qui a laissé les fascistes saccager le siège des syndicats – en a compté 60 000, tandis que les organisateurs en ont compté 200 000, un chiffre probablement plus proche de la vérité. Le peuple antifasciste de Rome, mais surtout des travailleurEs de tout le pays, cette partie de d’Italie qui résiste encore tant bien que mal à des décennies de désastre politique, social et culturel. Éléments positifs : cette grande manifestation syndicale a bien eu lieu, malgré les protestations au sein même du gouvernement contre la rupture de la « trêve électorale » ; un énorme cortège (non prévu au départ) a défilé pendant des heures jusqu’à la Piazza San Giovanni ; la présence de nombreuses usines, dont GKN, en ces semaines de lutte contre les licenciements et les projets post-Covid pour la société italienne et le monde du travail ; une attention et une combativité générales qui ne répondent pas seulement aux préoccupations antifascistes mais aussi à la nécessité d’une défense réelle des emplois et des conditions de vie.
Ombres au tableau
Cela étant dit, les choses ne sont pas simples. Il y a des signes positifs – qui viennent, heureusement, de la base même du « peuple de gauche » et des syndicats – mais il y a aussi beaucoup d’ombres. L’assaut des fascistes à Rome a mis sur le devant de la scène une réalité alarmante et brutale (dont le mouvement ambigu « No Green Pass » de ces dernières semaines est une expression), qui a été alimentée par le désastre social des mois de Covid et sera encore plus alimentée par la quête désespérée de reconstitution des profits perdus par les différents secteurs du capitalisme italien et du capitalisme international. Le gouvernement Draghi représente précisément ces intérêts (de manière absolument transparente, d’ailleurs) et l’absence d’une opposition de classe à ce projet est inquiétante.
En Italie, depuis longtemps, les comédienEs et les auteurEs de romans noirs sont restés les seuls intellectuels critiques. On peut ainsi citer Crozza, un humoriste bien connu : « Amis de la gauche, n’avez-vous jamais pensé que le fascisme a progressé ces dernières années en partie parce que vous avez oublié de défendre les travailleurs ? »
Le sens des résultats des élections locales
Alors que le pays est secoué par ces événements, lundi 18, les résultats des élections locales dans certaines grandes villes italiennes (dont Rome) ont été annoncés. Les constats sont de deux ordres : d’une part, à peine plus de 30 % des électeurEs se sont rendus aux urnes, ce qui représente le taux de participation le plus bas de l’histoire de la République ; d’autre part, le centre-gauche a gagné partout (à l’exception de Trieste), avec des marges très importantes. Même si les journalistes en vogue des journaux privés ne le disent pas, la mobilisation antifasciste a manifestement contribué au très net succès du PD. Ces derniers jours, le PD a fait appel précisément à ce vote, pour affirmer ensuite que la victoire était due à ses bonnes et convaincantes politiques…
En résumé, l’avenir des principales villes italiennes continuera d’être entre les mains des banques, des spéculateurs et de la grande industrie. La seule différence est que, cette fois, le maire de Rome ou de Turin aura été élu par environ 15 % des électeurEs (principalement ceux qui vivent dans le centre et dans les beaux quartiers)... revenant en fait à la démocratie censitaire du 19e siècle.