Publié le Mardi 9 juin 2020 à 16h10.

États-Unis : « L'Histoire est passée devant ma porte hier soir, portant l'avenir sur ses épaules »

Une manifestation est passée devant chez moi à Brooklyn il y a quelques nuits, un flot de milliers de jeunes de toutes races, portant des masques, marchant ensemble, criant le nom de George Floyd, demandant justice. J'ai vu l'Histoire se frayer un chemin à travers la ville, les jeunes portant l'avenir sur leurs épaules. C'est ainsi à travers l'Amérique depuis plus d'une semaine et les marches continuent et grandissent.Des centaines de milliers de personnes dans les villes et villages des États-Unis se sont jointes aux manifestations pour protester contre le meurtre de George Floyd par la police et le fait que les quatre policiers impliqués n’avaient pas été inculpés. Seul l'agent directement impliqué avait été inculpé après trois jours. Presque partout, les manifestants ont lié le meurtre de Floyd au racisme policier, à la violence et aux meurtres dans leurs propres villes, exigeant l'arrestation des quatre officiers impliqués. 

« Une déclaration de guerre contre les citoyens américains »

Les manifestantEs, pour la plupart âgés de 12 à 30 ans, sortent pour protester, portant leurs masques, malgré la propagation continue du coronavirus, prêts à risquer leur propre santé et leur vie pour s’élever contre les violences policières qui ont coûté tant de vies noires. Bien que les manifestations soient pacifiques, des incendies et des pillages ont eu lieu dans certaines villes, mais les manifestantEs eux-mêmes ont souvent tenté de les arrêter. Dans de nombreux endroits, la police a délibérément et violemment attaqué les manifestations pacifiques, gazant, battant et arrêtant les participantEs. Pourtant, les fleuves de l'humanité continuent de couler dans les rues d'Amérique. Le 3 juin, le mouvement a remporté une victoire lorsque le procureur général du Minnesota a inculpé les quatre officiers, ce qui a provoqué des acclamations dans les rues.

En réponse aux protestations, les gouverneurs de plus de vingt États ont fait appel à la Garde nationale, la réserve militaire des États, pour tenter de rétablir l'ordre. Les protestations se poursuivant, Trump a qualifié les gouverneurs de faibles et a déclaré qu'ils devaient recourir à la force « pour dominer » la situation. Le 1er juin, Trump a menacé d'appeler des troupes américaines en service actif en utilisant la loi de 1807 sur l'insurrection. Le sénateur Ron Wyden, un démocrate de l'Oregon, a tweeté: « Le discours fasciste que Donald Trump vient de prononcer frôlait la déclaration de guerre contre les citoyens américains. » 

Le même jour, Trump a fait utiliser des gaz lacrymogènes et la force par la police et les troupes pour dégager des manifestantEs pacifiques afin qu'il puisse, avec le secrétaire à la Défense Mark Esper et le général Mark A. Milley, chef d'état-major interarmées, traverser une rue à côté de la Maison Blanche pour se rendre dans une église où Trump a posé devant les photographes en tenant une bible à la main. 

Ruptures avec Trump

La menace de Trump d'appeler des troupes régulières a amené l'establishment militaire étatsunien à se retourner contre lui. Son propre secrétaire à la Défense l’a défié, affirmant que les troupes militaires n'étaient ni nécessaires ni appropriées. L'ancien secrétaire à la Défense de Trump, le général des Marines des États-Unis, James Mattis (qui avait démissionné en raison de divergences sur le Syrie), a écrit un article comparant Trump aux nazis et a déclaré que l'appel de Trump à des troupes constituait une menace pour la Constitution. L'amiral Mike Mullen, ancien chef d’état-major, a critiqué Trump pour son « dédain pour les droits de manifester pacifiquement dans ce pays ».

Les quatre anciens présidents américains – Jimmy Carter, Bill Clinton, George W. Bush et Barack Obama – ont publié des déclarations exprimant leur inquiétude concernant le traitement raciste et violent de George Floyd. Et même quelques sénateurs républicains ont critiqué Trump, de même que le télévangéliste Pat Robertson [une des personnalités de la droite conservatrice chrétienne NDLR]. Dans le même temps, les sondages indiquent un net changement de l’opinion populaire des blancs vers la sympathie pour les noirs et la critique de la police.

Dans un contexte où le coronavirus a tué plus de 100 000 personnes et où il y a 43 millions de chômeurEs, tandis qu’arrive la plus grande révolte sociale depuis cinquante ans, l'élite américaine a commencé à rompre avec Trump. Nous assistons peut-être au début de la fin de son régime.

Traduction Henri Wilno