Tout cela a un certain air de famille… Lorsque la présidente de la Cour constitutionnelle du Gabon, Marie-Madeleine Mborantsuo, finira par rendre son verdict sur la validité disputée de l’élection présidentielle, l’affaire restera forcément dans la famille (élargie).
Car la magistrate, âgée de 61 ans, est la mère de deux enfants de l’ancien président Omar Bongo, au pouvoir sans interruption de 1967 à 2009. Le président en exercice, Ali Bongo, qui a pris le pouvoir après le décès de son père, est ainsi le demi-frère de la présidente de la juridiction constitutionnelle. Quant à Jean Ping, actuellement le rival d’Ali Bongo, il a été marié à une sœur d’Ali Bongo. Et cette dernière, Pascaline Bongo, joue un rôle politique important dans la mesure où elle a longtemps géré les affaires financières du clan familial...
Bongo partout, justice nulle part ?
Sous Marie-Madeleine Mborantsuo, le Conseil constitutionnel ne s’est pas illustré ces dernières années par des décisions qui auraient déplu au régime en place. C’est d’ailleurs pour cela qu’elle est toujours en place : la Constitution gabonaise limite normalement le nombre de mandats à deux, et son dernier mandat s’est terminé il y a un peu plus de dix ans... En 2009, elle avait « validé » la première élection, déjà très contestée, d’Ali Bongo à la présidence. Cela dit, Mme Mborantsuo n’est peut-être plus totalement alignée sur la ligne d’Ali Bongo : en février de cette année, les médias avaient fait état de la tentation du président gabonais de la faire remplacer. Puis en mars, elle avait échappé à une tentative d’empoisonnement mystérieuse...
Si jamais la juridiction constitutionnelle finit par valider la victoire de Jean Ping et invalide donc la réélection d’Ali Bongo, cela ne signifiera pas la fin du régime. Plusieurs des conseillers du père décédé, Omar Bongo, ont d’ailleurs rallié Jean Ping ces dernières années, reprochant au fils Bongo son manque d’expérience et de stature politique. Ping, né en 1942 d’une mère gabonaise et d’un père chinois, s’est découvert opposant au régime en 2012 lorsque, suite à son premier mandat à la tête de l’Union africaine (depuis 2008), Ali Bongo lui avait refusé le soutien du pays à sa reconduction, soutien dont il aurait eu besoin pour être réélu... Ainsi forcé d'abandonner la présidence de l’Union africaine, Jean Ping aurait alors décidé de se porter candidat à la présidence.
Vers une période de transition ?
Néanmoins, une annulation du scrutin du 27 août, dont le résultat officiel – annoncé le 31 août – avait déclenché une révolte durement réprimée (le pouvoir parle de trois morts, l’AFP de sept, et l’opposition de plusieurs centaines de tuéEs), serait un signe d’encouragement à toute l’opposition démocratique. Celle-ci s’était mise d’accord, mi-août, pour soutenir une « candidature unique », celle de Jean Ping, afin d’éviter tout éparpillement des voix exprimées contre Ali Bongo. Aussi 26 leaders d’opposition, appartenant à des courants bien différents, se trouvaient à l’intérieur du QG de Jean Ping lorsque celui-ci fut attaqué à l’arme lourde puis assiégé pendant deux jours, tout début septembre.
La défaite du président en place ouvrirait la voie à une période de transition qui permettrait aux forces sociales et démocratiques de prendre confiance en elles. Aux premiers rangs de l’opposition se trouvent, depuis quelques années, les syndicats. Des ONG, surtout écologiques, font également partie de ces organisations dites de la société civile qui soutiennent actuellement Jean Ping contre Ali Bongo et qui avaient exigé une candidature commune de toutes les forces souhaitant la chute du président sortant.
La prudence française...
Les grandes puissances – la France en tête, qui a une forte présence économique et militaire au Gabon – restent actuellement discrètes concernant l’issue de l’élection. L’Union européenne, mais aussi la position française officielle, exigent un nouveau décompte des voix, ce qui consiste à mettre en doute la validité de la « victoire » revendiquée par Ali Bongo. Une « victoire » qui ne repose que sur la fiction selon laquelle dans la région qui constitue son fief, le Haut-Ogooué, Ali Bongo aurait obtenu plus de 95 % des voix… avec plus de 99 % de participation (contre 50 % dans les autres régions), ce qui est évidemment plus qu’improbable. Pour le reste du pays, même le régime a été obligé de publier des chiffres donnant Jean Ping en tête.
Contrairement à 2009, lorsque des intérêts français furent directement attaqués (dont plusieurs stations d’essence de Total brûlées), la France évite pour le moment de trop apparaître dans la ligne de mire des protestataires. Tout le monde, y compris les grandes puissances, attend maintenant la décision de la Cour constitutionnelle, que l’opposition a saisi sans excès de confiance, mais pour s’éviter à l’international le reproche de ne pas avoir utilisé tous les leviers légaux. Celle-ci a jusqu’au 22 septembre pour se prononcer.
Bertold du Ryon