Une mobilisation massive face aux réformes structurelles dans le monde agricole.
Narendra Modi, l’actuel Premier ministre de l’Inde et dirigeant du BJP (parti indien du peuple), un parti d’orientation nationaliste et hindouiste, est arrivé au pouvoir en 2014 sur la base d’un programme ultra-libéral. Entre-temps l’Inde a été frappée comme le reste du monde par la pandémie de covid-19 à partir de janvier 2020. Le 11 décembre de cette année, il y avait plus de 9,8 millions de cas déclarés et plus de 142 000 morts recensés. Ces chiffres sont en dessous de la réalité, compte tenu de la faiblesse relative du réseau sanitaire en Inde.
350 000 suicides en 25 ans
L’incidence de cette pandémie est très grande sur l’économie du pays, puisque les services, qui constituent le secteur le plus performant du capitalisme indien, se sont effondrés en avril dernier. L’industrie n’est pas non plus dans un meilleur état, d’autant que l’essentiel de la main-d’œuvre est concentré dans des PME. Nombre de citadinEs sont en fait des salariéEs qui n’ont pas vraiment quitté leur village où le reste de la famille continue de vivre et de travailler. La perte de leur emploi les a mis dans une situation des plus tragiques. Quant à l’agriculture, si elle a relativement peu souffert des effets économiques de la pandémie, elle souffre de bien d’autres difficultés. Ainsi, 9 paysans sur 10 exploitent des lopins de moins de 0,8 hectare. On ne peut donc être surpris dans ces conditions des 350 000 suicides recensés en 25 ans pour cause de surendettement et d’un exode rural massif qui a déplacé près de 15 millions de personnes entre 1991 et 2011, malgré le peu d’emplois que l’on peut trouver dans les villes. En 2013, une famille de cinq personnes avait un revenu estimé à 72 euros mensuels et de nombreuses familles rurales ne survivent que grâce aux programmes sociaux étatiques.
Modi a obtenu l’appui de certains capitalistes indiens pour mener des réformes structurelles dans le monde agricole, sachant qu’à terme, cela les menace d’une explosion sociale de grande ampleur, car le capitalisme indien ne dispose pas pour le moment de la capacité d’absorption d’une main-d’œuvre qui viendrait de la campagne, comme cela a été le cas en Chine, par exemple. En septembre dernier, il a donc promulgué trois lois remettant en cause les prix garantis par l’État pour les produits agricoles et qui permettaient d’assurer aux paysans un revenu minimum. Dans cet esprit il a sorti de la liste des produits essentiels des produits de première nécessité tant périssables que non périssables (sauf si leur prix venait à augmenter de plus de 50 % dans le premier cas, de 100 % dans le second), ce qui permettrait d’assurer de beaux profits aux grandes surfaces et autres intermédiaires dans la plus grande légalité.
Delhi assiégée
Cette politique ne peut que contribuer à une augmentation des prix agricoles sur le marché et à la constitution de monopoles pour certains produits, dont pourraient par exemple profiter Mukesh Ambani, un magnat indien très proche de Modi et dont la fortune atteint aujourd’hui 63 millards d’euros, ou Gautam Adani (« seulement » 23 milliards d’euros), autre proche du Premier ministre. À terme, nombre de petits exploitants privés du revenu minimal garanti par l’ancien système risquent de se retrouver expulsés de leur petits lopins.
La situation est particulièrement inquiétante pour les paysans du Pendjab et de l’Haryana, États ruraux situés au nord est de l’Inde, peuplés respectivement de 28 et 26 millions d’habitantEs, et qui avaient été les grands bénéficiaires de la Révolution verte de 1966. C’est dans ces régions que le mouvement de révolte est le plus important, d’autant plus que nombre des produits agricoles concernés par la libéralisation occupent une part significative de leur production. C’est dans ces régions que depuis deux mois les manifestations se succèdent. Ces dernières semaines, les routes comme les voies ferrées autour de Delhi ont été bloquées et nombre de paysans sont bel et bien déterminés à assiéger la capitale plusieurs semaines s’il le faut, malgré la répression menée à leur égard.
Le Parti du Congrès, le plus grand parti historique de l’Inde, mais dont l’influence électorale s’est effondrée au cours des dernières années, tente de profiter de cette opportunité pour se redonner une légitimité. À la tête d’une coalition d’autres petits partis, en critiquant la politique de Modi. Pour autant, il n’est évidemment pas en mesure d’apporter la moindre perspective claire aux petits paysans indiens.
Les petits paysans de l’Inde ne pourront s’en sortir qu’en s’alliant avec les salariéEs des villes, frappés de plein fouet par la crise économique liée à la pandémie, pour assurer le renversement du capitalisme et la réorganisation de la société indienne qui soit profitable à l’immense majorité de la population de ce pays, et non à des entrepreneurs assoiffés de profits.