L’heure est aussi au déconfinement outre-Rhin. L’Allemagne modèle, comme elle l’aurait été du confinement ? Un tour d’horizon de quelques secteurs autorise à mettre des bémols.De premières écoles ont rouvert dès la fin avril, tout d’abord dans la Ruhr. Au volontariat pour les élèves de terminale (Bac ou « Abitur » oblige !) mais obligatoire pour les plus jeunes, ne laissant planer aucun doute sur la finalité de l’opération : que les parents soient libérés de la garde de leurs enfants pour retourner au boulot. À partir du 4 mai, le processus s’étend à davantage de régions. Mais profs, élèves et parents sont anxieux quant aux conditions sanitaires, frustrés face à des plans qui changent toutes les semaines et à des injonctions contradictoires de notables nationaux et régionaux – d’où des protestations et quelques rassemblements contre les réouvertures. Deux écoles de la Ruhr, à Duisburg et Dormagen, ont d’ailleurs dû refermer à cause de cas de Covid-19 (ce qui a été médiatisé), tandis que l’Institut principal de virologie constate une hausse (de 0,7 à 1) du taux estimé d’infection depuis les premières mesures de déconfinement.
Les hôpitaux résisteront-ils à une deuxième vague ?
L’Allemagne compte quatre fois moins de morts que la France (environ 6 900 contre 25 200le 4 mai). Un facteur important est le nombre de tests, de trois à quatre fois supérieur en Allemagne. La population a probablement été mieux contrôlée et plus vite soignée. Les hôpitaux n’ont pas été débordés et le confinement, arrivé relativement tôt, a permis de mieux « aplatir » la courbe. Les capacités en lits en réanimation, avec respirateurs artificiels, ont été trois à quatre fois plus élevées en Allemagne qu’en France.
Pourtant, des économies drastiques dans le domaine de la santé ont été faites en Allemagne depuis la réunification : un quart des lits d’hôpitaux supprimé ; une rentabilisation passée elle aussi par la « tarification à l’acte ». Mais il s’avère qu’un de ces « actes », bien rémunéré, est la respiration artificielle, d’où l’investissement de nombreux hôpitaux dans les respirateurs – dans une Allemagne en pointe pour la production de machines. Les craintes de pénuries ont concerné davantage le personnel soignant, dont les effectifs ont été rabotés.
Les profits d’abord
Comme ailleurs, l’attitude par rapport au déconfinement est ambivalente : il existe à la fois l’envie de sortir de la situation actuelle, économiquement et socialement dure à vivre pour les classes populaires, et une grande méfiance face à l’empressement patronal à faire reprendre le travail au mépris des conditions sanitaires. Devant l’impossibilité de respecter les distances sur des chaînes de montage ou dans les transports en commun, des travailleurEs restent en arrêt maladie. Dans le commerce, à H&M par exemple, des actions juridiques syndicales repoussent la réouverture. Interrogations aussi dans les transports en commun des grandes villes, sur la faisabilité d’un retour à la normale sans danger.
Mais c’est bien ce retour à la « normalité » de l’exploitation que veulent les patrons, animés de la volonté, dans les secteurs stratégiques (dont l’automobile) de repartir le plus vite face à leurs concurrents. Le patronat allemand s’est doté des mêmes armes que le patronat français : la possibilité de porter la durée hebdomadaire du travail à 60 heures et les journées à 12 heures – par un cocktail de décrets, mesures régionales « temporaires » et accords de branche ou d’entreprise, en partenariat avec les syndicats. Et ces dérogations récentes au droit du travail ont trouvé leur application dans le domaine hospitalier, surtout chez les sous-traitants de la logistique, des cantines et du nettoyage...
CertainEs seront donc poussés à travailler plus, tandis que d’autres ne retrouveront pas de travail de sitôt. Le pays compte 300 000 nouveaux chômeurEs depuis début mars, et 10 millions de travailleurEs au chômage partiel, avec des salaires largement amputés. À noter que malgré la démagogie anti-migrants des partis traditionnels et de l’AfD (extrême droite), c’est l’union nationale pour déroger à la fermeture des frontières et les ouvrir temporairement aux dizaines de milliers de saisonnierEs (surtout des femmes venues de Pologne et Roumanie) dont le secteur de l’agriculture et de l’agro-alimentaire a besoin, entre autres pour la récolte des asperges. Tâche pénible et payée au lance-pierre, cette année dans un super-confinement quasi esclavagiste.
Qui va payer ?
La situation est confuse. Il y a eu, comme aux USA, quelques manifestations hebdomadaires anti-confinement, rassemblant des gens pas loin de penser que là-haut chez les puissants, « ils inventeraient, exagéreraient pour faire passer leurs saloperies genre les 60 heures ». L’extrême droite surfe sur ce type de réactions et s’essaie à quelques rassemblements, dont un de 1 000 personnes à Berlin. Mais l’annonce de nouvelles aides de l’État au patronat (entre autres un plan de sauvetage de 9 milliards pour Lufthansa) suscite la colère et aiguise la conscience qu’il va falloir imposer que les classes populaires ne paient pas cette crise au prix fort.