Dans quelle mesure Chavez a-t-il vraiment pris parti dans le conflit en Libye?
Chavez semble tiraillé sur la question de la Libye. D'une part, il a déclaré que Kadhafi est son ami et qu'il a confiance en lui. D'autre part, il dit qu'il ne sait pas ce qui se passe en Libye aujourd'hui, que l'on ne peut pas faire confiance aux médias internationaux sur cette question, et qu'il ne peut pas soutenir tout ce que fait un ami. Ainsi, si Chavez semble adopter une approche prudente à l'égard de la Libye, il a de facto pris le parti de Kadhafi dans la mesure où il a jeté le doute sur les informations concernant les atrocités commises par le dictateur libyen.
Chavez affirme souvent que les affaires internes des pays ne concernent que ces pays et qu'il est important que les autres dirigeants du monde se ne prononcent pas sur ces elles afin de respecter leur souveraineté. Il a fait ces commentaires au sujet de la récente rébellion populaire en Egypte. Pourquoi croyez-vous qu'il a pris parti pour Kadhafi, même si c'est d'une manière limitée?
Je pense que Chavez a pris parti pour Kadhafi parce qu'il fonde dans une large mesure sa politique étrangère sur les relations personnelles entre les chefs d'Etat. Dès qu'il a établit un bon rapport personnel avec un dirigeant étranger, il veut croire ce dernier sur parole et toutes les informations et rapports négatifs sur lui le laissent complètement indifférent, parce qu'il sait par expérience personnelle à quel point les médias internationaux peuvent déformer les choses.
Certains détracteurs de Chavez affirment que son amitié pour des gens comme Kadhafi s'explique par le fait qu'il est un autocrate comme eux. C'est un argument stupide, car Chavez est également très proche de gens comme Lula da Silva au Brésil, qui a une réputation démocratique irréprochable. En fait, Chavez se fait tout simplement des amis à travers tout le spectre politique, «démocrate» ou «autocrate», indépendamment de leur style de direction.
Pensez-vous que les expériences personnelles de Chavez avec le coup d'État soutenu par les États-Unis et les distorsions sur le Venezuela par les médias internationaux ont joué un rôle dans sa réaction sur ce qui se passe en Libye, ou est-ce explicable par sa politique étrangère en général?
Les deux. Il ya un élément de politique étrangère générale dans ce que fait Chavez, qui est très intéressé par le renforcement des relations Sud-Sud. Pour ce faire, il tient à établir des liens étroits avec des personnages aussi peu recommandables que Kadhafi. En outre, Chavez est un féru d'histoire, il voit toujours le Kadhafi de 1969, celui de la révolution en Libye, d'une lutte de libération anti-impérialiste (et c'est pour cela qu'il lui a rendu hommage avec une réplique de l'épée de Simon Bolivar). Mais en même temps, Chavez semble ignorer que Kadhafi et la Libye ont sensiblement changé depuis lors, tandis qu'il continue de le considérer dans cette optique historique.
Il y a eu de vives critiques dans gauche internationale contre Chavez pour le fait qu'il ne condamne pas Kadhafi. Quel est le risque que son attitude délégitime la Révolution bolivarienne parmi la gauche internationale, mais aussi parmi les pays de l'ALBA?
Je pense que le danger que Chavez soit en perte de légitimité, en particulier parmi la gauche internationale, est important. Bien qu'il existe des gens de gauche qui partagent l'évaluation positive de Chavez sur Kadhafi, la plupart ne peuvent pas comprendre pourquoi Chavez ne veut pas le condamner. Les partisans de Chavez à l'extérieur du Venezuela ont tendance à penser que Chavez est soit désespérément naïf sur Kadhafi, ou soit qu'il est terriblement mal conseillé en politique étrangère. Il semble, cependant, que la plupart des gouvernements des pays de l'ALBA partagent le point de vue de Chavez sur la Libye. En fait, le président du Nicaragua, Daniel Ortega, a été beaucoup plus franc dans son soutien à Kadhafi que Chavez et l'Equateur de Rafael Correa a adopté une position similaire à la sienne.
Ici, au Venezuela, l'opposition et les médias privés ont profité de la position de Chavez sur la Libye, ainsi que celle en général sur la rébellion populaire en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, pour lancer une attaque frontale contre lui, en suggérant qu'il « pourrait être le prochain de la liste », ce qui sous-entend qu'il est un dictateur comme Kadhafi. Tout d'abord, en quoi ces allégations sont-elles vraies, et, d'autre part, quelles pourraient être les conséquences au Venezuela d'une telle campagne de l'opposition?
Ces allégations sont un pure voeu pieux de la part de l'opposition vénézuélienne. La situation au Venezuela est le contraire de la situation dans les pays arabes. Tout d'abord, alors que l'inégalité et la répression ont généralement augmenté dans ces pays au cours des dix dernières années ou plus, l'inégalité a diminué et la participation politique au Venezuela a augmenté au cours des années Chavez. Aucun de ces pays arabe n'a une démocratie qui fonctionne alors que le Venezuela est une démocratie florissante. La seule similitude pourrait être que Chavez, Moubarak, Kadhafi et sont tous des militaires. Cependant, Chavez a maintes fois prouvé que, malgré ses instincts militaires, il tente vraiment d'essayer de créer une démocratie plus participative et socialiste au Venezuela.
Étant donné l'importance que donne Chavez au pouvoir populaire dans son propre pays, pourquoi veut-il se lier au niveau international avec des dirigeants qui ne sont pas forcément populaire parmi le peuple, comme le président iranien et Kadhafi?
Mon impression est que l'accent mis sur les dirigeants proviennent de deux sources. D'abord, il croit en l'importance des dirigeants et de leur leadership pour faire avancer les sociétés. Deuxièmement, comme je l'ai mentionné, il fonde une grande partie de sa politique sur les relations personnelles et ses bons rapports avec eux lui fait oublier leurs lacunes, en dépit de (ou surtout si il ya) des critiques négatives sur eux dans les grands médias.
Chavez a proposé une Commission de médiation de paix en Libye. Il paraît qu'il propose souvent de telles initiatives au niveau international. Est-ce vrai et pourquoi ?
Oui, Chavez semble tout à fait intéressé à jouer un rôle de médiateur et il a effectivement essayé de jouer ce rôle à plusieurs reprises, comme dans la guerre civile colombienne ou pendant le coup d'État au Honduras. Je pense qu'une grande partie de sa motivation pourrait venir de sa volonté de projeter une image qui s'oppose à sa réputation internationale de leader agressif. Cependant, à côté de cette motivation psychologique, je pense que Chavez veut aussi mettre en évidence que sa politique étrangère est orientée vers la paix, en contraste avec la politique étrangère américaine, qui est axé sur la guerre.
Gregory Wilpert est sociologue, journaliste freelance, co-fondateur de « Venezuelanalysis.com », et auteur de « Changing Venezuela by Taking Power ». Interview publiée le 06 mars 2011 par http://venezuelanalysis.com/analysis/6044 Traduction française pour le site www.lcr-lagauche.be