Pourquoi le conflit dans le Haut-Karabakh, province arménienne d’Azerbaïdjan qui lutte pour son indépendance depuis la chute de l’URSS en 1991 ?
Dans la Fin de l’homme rouge, l’écrivaine biélorusse Svetlana Alexievitch donne la parole à Margarita, une Arménienne qui a grandi à Bakou en Azerbaïdjan, et qui a dû fuir cette partie sud du Caucase lorsque, entre 1988 et 1994, elle a basculé dans la guerre quand l’Azerbaïdjan et l’Arménie, dans le contexte de la fin de l’URSS, se sont affrontés autour de l’enclave du Karabakh. La guerre s’est terminée en 1994 par un cessez-le-feu bancal qui n’a pas arrêté les accrochages sporadiques1. Les spécialistes ont dit le conflit « gelé » » ou « mal éteint »2. Il vient de se réveiller le week-end des 26 et 27 septembre, avec des combats qui auraient fait au moins 100 morts et des centaines de blessés, dont les dirigeants et chefs militaires d’Azerbaïdjan et d’Arménie se renvoient la responsabilité. Jusqu’où l’engrenage peut-il mener ? À une nouvelle hécatombe de près de 30 000 victimes et plus d’un million de réfugiéEs, comme à l’issue de la flambée d’il y a près de trente ans, autour de ce Karabakh du bout du monde, une région des plus pauvres mais située au carrefour d’enjeux économiques (puits de pétrole et gazoducs) et de rivalités géostratégiques ?
Toute une histoire
Bien avant la fin de l’URSS qui a vu ses marges ensanglantées de conflits nationaux, le Caucase était une zone de « grand jeu » pour les puissances impérialistes et leurs « protégés » régionaux. S’y sont affrontés au 19e et au début du 20e siècle, avant leur écroulement, les empires russe, ottoman, perse – sous le contrôle et les appétits de la Grande-Bretagne. Le succès de la révolution russe a rebattu les cartes. En 1905, des bolcheviks arméniens avaient joué un rôle majeur dans des grèves du pétrole à Bakou, du côté des travailleurs azéris qui étaient sauvagement exploités. Mais dans les années 1918 à 1922 extrêmement troublées (des troupes allemandes défaites quittent le Caucase, des troupes anglaises les remplacent, à leur tour poussées dehors par les bouleversements politiques liés à la révolution bolchévique – naissance des nouvelles républiques socialistes soviétiques de Géorgie, d’Arménie et d’Azerbaïdjan), la politique des bolcheviks russes n’a pas réussi à résoudre les problèmes nationaux. Entre autres pour ménager l’alliance avec l’assemblée nationale de Mustapha Kemal, un découpage territorial a été négocié en mars 1921, qui ouvrait la porte à des conflits ultérieurs.
Plaies ouvertes
Il est impossible de retracer ici les multiples et dramatiques étapes de ce conflit qui s’est réveillé à la fin de l’URSS, au moment de la course aux indépendances post soviétiques, d’une manifestation à Erevan d’un million de personnes le 26 février 1988 pour le rattachement du Karabakh à l’Arménie, au pogrom anti-arménien de Soumgaït (banlieue industrielle de Bakou) à la fin février 1988, suivis d’atrocités similaires anti-azéris, avant que les uns et les autres ne s’entretuent dans une vraie guerre avec, des deux côtés, un armement russe. Sur fond d’étranglement économique des plus pauvres, dans une Arménie quasiment coupée du monde par le blocus de la Turquie et un Azerbaïdjan où les clans au pouvoir accaparent la manne pétrolière, toutes les surenchères guerrières sont possibles.
Aujourd’hui les flammes repartent. Derrière l’Arménie et l’Azerbaïdjan et des plaies nationales jamais refermées que des dirigeants pyromanes se plaisent à raviver, il y a les intérêts complexes de la Russie et des États-Unis, de la Turquie et de l’Iran… même s’il est schématique de réduire le conflit – comme le font certains – à une confrontation entre les axes Moscou-Erevan-Téhéran d’un côté, Washington-Bakou-Ankara de l’autre.