Aucun gouvernement capitaliste n’a le monopole ni l’apanage de la répression en cette période de crise politique, économique et écologique. Le glissement vers des États autoritaires et policiers est en cours, à des rythmes plus ou moins rapides en fonction de chaque situation nationale, dans toute l’Union européenne.
En mars 2015, le Parlement espagnol, à l’époque gouverné par le Parti populaire de Mariano Rajoy, a fait adopter la loi organique de Protection de la sécurité publique, aussitôt surnommée « ley mordaza » (« loi bâillon ») par ses opposants et les mouvements sociaux. Au menu, un brutal tour de vis sécuritaire destiné à faire taire les mobilisations contre l’austérité alors fortes en Espagne.
Arbitraire policier et administratif
Cette loi comporte de nombreux articles visant à renforcer l’arbitraire policier et judiciaire. Entre autres, la mise en place d’amendes forfaitaires et administratives (donc non contestables devant la Justice) de 600 à 30 000 euros pour toute une série d’actions militantes : tenir des piquets de grève, bloquer des routes et des bâtiments officiels, manifester devant le Parlement, désobéir ou « manquer de respect » à la police. Sont aussi renforcées les possibilités d’expulsion rapide des migrants, ainsi que le délit d’outrage au monarque.
L’article qui a fait le plus polémique (le 36.23) interdit de filmer sans autorisation et de diffuser toute image de la police en intervention. Cette disposition a directement inspiré le projet de loi Sécurité globale de Gérald Darmanin. De nombreux journalistes indépendants ont reçu des amendes énormes directement à leur domicile, sans aucun avertissement, les poussant ainsi à tout simplement arrêter de travailler, ne pouvant faire face financièrement.
Sévérité envers les militants
Depuis son entrée en vigueur en juillet 2015, plus d’1,5 million de contraventions ont été distribuées dans tout le pays. Plus grave, la loi est également invoquée par les tribunaux pour faire preuve de plus de sévérité envers les militants. Quatre antifascistes, qui avaient organisé en décembre 2021 une manifestation à Saragosse contre un meeting des franquistes de Vox et qui avaient été arrêtés après une charge policière, ont été condamnés à six ans de prison, sur présomption de véracité de la parole des flics, les accusant de « violences sur agents ».
Le tout dans un contexte marqué ces dernières années par la répression historique du mouvement indépendantiste catalan (1 000 blessés en une journée au moment du référendum d’autodétermination de 2017, des condamnations à quinze ans pour des dirigeants du mouvement), l’utilisation des blindés contre les métallos de Cadix en grève en 2021, et les rapports sur 40 ans d’utilisation du LBD (53 morts et 300 handicapés à vie depuis 1990). Ainsi que le massacre de dizaines de migrants, en collaboration avec la police marocaine, à la frontière de l’enclave de Melilla, le 24 juin 2022.
Dernier développement : avec le courage dont ils sont coutumiers, et après avoir noyé le débat dans d’interminables procédures parlementaires, le gouvernement de « gauche » du PSOE et de Podemos vient de renoncer à abolir la ley mordaza (une de leurs promesses électorales). L’arbitraire a encore de beaux jours devant lui.