En Allemagne, les augmentations de prix sont particulièrement élevées, le taux dépassant les 8% depuis des mois. Selon l'institut de recherche économique WSI, proche des syndicats, les salaires réels ont déjà nettement baissé au cours des trois années précédentes et le renchérissement du coût de la vie (surtout pour les denrées alimentaires et l'énergie), qui s'est ainsi nettement accéléré, touche particulièrement les salariéEs les moins bien payés (infirmiEres, chauffeurs de bus, etc.).
Dans ce contexte, il n'est pas étonnant que les revendications tarifaires aient nettement augmenté ces derniers mois, toutefois contre la volonté des directions syndicales. Ainsi, le syndicat des services publics, Ver.di, demande une augmentation de 10,5%, avec au moins 500 euros, pour les employéEs des services fédéraux et des communes ; il a demandé 15% pour les employéEs de la poste et l'EVG (le plus grand des deux syndicats de cheminots) demande 12%, avec au moins 650 euros. La durée de chaque accord serait de 12 mois.
Les salaires peu protégés sur le long terme
Depuis toujours, les militants syndicaux de gauche critiquent le fait que c'est sur la longue durée que les pertes de salaires réels sont dissimulées. C'est ce qui s'est passé à l'automne dans l'industrie chimique, puis dans la métallurgie et l'électronique. Récemment, le syndicat Ver.di a conclu une convention collective pour les employés de La Poste qui, à cause de la durée de deux ans pour cet accord, entraînera une perte de salaire réel (selon le salaire mensuel) entre 5 et 7,5 % (ce qui sera encore plus élevé si le taux d'inflation dépasse 8 %).
La manœuvre de tromperie est encore facilitée par le « doux poison des paiements uniques ». Le gouvernement avait en effet décidé à l'automne qu'une prime de compensation de l'inflation pouvant aller jusqu'à 3000 euros serait exonérée de cotisations sociales et d'impôts. Les syndicats s'achètent ainsi un accord qu'ils présentent sous un jour favorable à leurs membres, mais pour lequel le paiement unique n'est pas pris en compte dans la grille et ne contribue donc pas à long terme à la protection des salaires réels.
L'accord conclu à la Poste est particulièrement fâcheux pour deux raisons : d'une part, les salariéEs avaient mené des grèves d'avertissement (grèves de quelques heures et manifestations) avec une forte participation et avaient ensuite voté à 86% pour une grève totale lors d'un vote des membres de Ver.di de La Poste. Les membres étaient motivés et prêts à se battre. Deuxièmement, ce groupe a réalisé un bénéfice d'exploitation de plus de 8 milliards d'euros au cours de chacune des deux dernières années.
Forte bureaucratisation
Le fait que la bureaucratie syndicale freine ainsi la lutte n'est pas seulement dû à une peur du conflit qui s'explique politiquement (la bureaucratie est idéologiquement très intégrée dans le système). Cela s'explique notamment par des raisons matérielles. D'une part, il s'agit du privilège matériel dont bénéficient en Allemagne les hauts rangs de l'appareil syndical, financés par les cotisations des membres. D'autre part, les bureaucrates de haut niveau — en particulier dans les syndicats de la fonction publique — sont en même temps corrompus matériellement dans les services de l'État (par exemple dans les conseils de surveillance des entreprises publiques).
Le vote des membres de Ver.di à La Poste sur le résultat des négociations est encore en cours, mais il sera plus ou moins impossible d'obtenir 75% de voix négatives, ce qui est nécessaire pour rejeter l'accord.
Ce qui est dévastateur, c'est que le résultat des négociations à La Poste aura un impact politique désastreux sur les négociations collectives dans le secteur public (qui, lui, « ne fait pas de bénéfices »). Les négociations décisives y auront lieu fin mars et la gauche syndicale craint un aussi mauvais résultat. Les militants syndicaux de gauche appellent à rejeter l'accord à La Poste et espèrent que les syndicalistes des services publics et des chemins de fer prendront conscience que cela ne peut pas continuer ainsi. Nous avons besoin d'une autre politique salariale, nous avons besoin d'une autre direction syndicale, au fond nous avons besoin de syndicats complètement différents. C'est aussi pour cela que nous regardons vers la France, parce qu'on y voit des choses : celui qui se bat peut perdre, celui qui ne se bat pas a déjà perdu.