La justice est fondamentalement une institution de l’État bourgeois, mais son fonctionnement se fait dans le cadre de règles publiques et les juges ne se comportent pas toujours en rouages aux ordres du système. Voilà qui peut gêner les puissants, d’où la tendance à recourir à l’arbitrage.
L’arbitrage permet de ne pas passer par les tribunaux de l’État en confiant le différend à un ou plusieurs particuliers choisis par les parties et payés par eux. En France, l’arbitrage a par exemple été utilisé dans le conflit entre Bernard Tapie et le Crédit lyonnais, et avec la bénédiction de Christine Lagarde alors ministre des Finances, a abouti à accorder à Bernard Tapie 403 millions d’euros, dont 45 millions d’euros à titre de préjudice moral !
En matière de commerce international, des mécanismes d’arbitrage sont prévus par les accords de libre-échange, dont le futur grand marché transatlantique. Dans un article du Monde diplomatique de février (« Le fléau de l’arbitrage international », par Maude Barlow & Raoul Marc Jennar), est ainsi raconté la belle histoire du méthylcyclopentadiényle tricarbonyle de manganèse (MMT). Il s’agit d’un additif utilisé par l’industrie pétrolière, produit aux États-Unis par une société américaine (Ethyl) et exporté ensuite au Canada. En avril 1997, le Parlement canadien examine un projet de loi visant à en interdire l’importation, car le manganèse est soupçonné de se concentrer dans le cerveau et de causer des maladies neurodégénératives graves. La société américaine annonce alors son intention de poursuivre le Canada sur la base de l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena) qui permet à tout investisseur de traîner un État devant un arbitrage privé. Le Parlement canadien adopte la loi en juin 1997... et quatre jours plus tard, Ethyl réclame 251 millions de dollars pour « expropriation indirecte ». En juillet 1998, le gouvernement canadien préfère transiger et lui verse 13 millions de dollars. Et la loi est abrogée !
La volonté d’un Parlement élu a donc été annihilée par le pouvoir conféré à des « juges » privés... opérant pour le plus grand bonheur des multinationales !