Initié à Yverdon le 2 novembre 2021 par les livreurEs de la plateforme Smood et soutenu par le syndicat Unia, un mouvement de grève s’étendait rapidement sur plusieurs cantons romands. Cette lutte exemplaire a pris une autre tournure six mois plus tard, avec la signature d’une Convention collective de travail (CCT).
Le 19 mai 2022, la majeure partie des livreurEs Smood a appris par le biais d’un communiqué de presse, et en même temps que les médias, qu’un accord a été trouvé entre leur employeur, Marc Aeschlimman, et Syndicom, syndicat des médias et de la communication. Cet accord se traduit par une CCT d’entreprise qui est censée réglementer les futures conditions de travail des livreurEs Smood, et entrera en vigueur en automne 2022. Y sont mentionnés un salaire minimum, la garantie hebdomadaire d’heures, la couverture de frais kilométriques, et surtout, la « paix du travail illimitée », selon les termes de la CCT.
Le double jeu de Syndicom
Alors qu’Unia a soutenu et organisé les grévistes, Syndicom a mis du temps à communiquer son soutien dans ce conflit de travail, répondant être depuis plusieurs mois en discussions avec l’employeur. Même si les deux syndicats ont finalement réussi à s’asseoir ensemble durant la procédure de conciliation entre les parties en conflit, il semble aujourd’hui que Syndicom a joué double jeu, en négociant avec Smood dans le dos du syndicat Unia et des grévistes. Résultat des courses, une CCT sortie du chapeau et qui n’a pas été discutée avec la base, selon les affirmations du responsable logistique d’Unia, Roman Künzler : « Les grévistes et leur syndicat le plus représentatif ont été totalement écartés des négociations, c’est inacceptable ! »
La manière dont cette CCT a été signée illustre assez clairement la nature perverse du partenariat social suisse et notamment la façon dont celui-ci peut être dévastateur pour des courants combatifs présents sur les lieux de travail, en vidant de toute substance les revendications des travailleurEs organisés. Ainsi, la CCT Smood fait abstraction des recommandations émises quelques mois plus tôt par la Chambre des relations collectives de travail devant laquelle tant Syndicom qu’Unia avec la délégation de grévistes, et la partie patronale, ont comparu pendant plus d’un mois. Les conditions finales dans ce texte ne correspondent de loin pas aux demandes des grévistes.
Une CCT conçue sur mesure pour l’employeur
Dans le processus de négociations, nous pouvons mettre en doute la représentativité de Syndicom dans le cas de Smood parce qu’une importante partie des livreurEs est syndiquée chez Unia. De plus, nous pouvons nous interroger sur le processus de consultation et sur la validité de cette CCT. En effet, sur les 1 200 livreurEs que Smood occupe au total, selon les chiffres communiqués par l’entreprise, moins d’un tiers a pu se prononcer sur le sujet.
La tournure de la bataille Smood montre parfaitement comment le partenariat social efface la conflictualité et dépossède les travailleurEs de leur outil de lutte le plus puissant qu’est la grève. Non seulement les livreurEs de Smood n’ont pas mandaté clairement Syndicom comme leur représentant, mais ces dernierEs n’ont même pas pu convenablement s’exprimer sur ce que seront leurs conditions de travail.
L’ironie du sort c’est que la CCT, surfant sur le mouvement de grève, interdit la grève et impose la paix de travail absolue : une claque pour le prolétariat du numérique que constituent les livreurEs Smood comme les travailleurEs d’autres plateformes.
La responsabilité de ce mauvais résultat engage l’ensemble du mouvement syndical. Comment se battre efficacement, s’organiser démocratiquement, agir collectivement avec des mandats de la base que les dirigeants syndicaux respectent ? C’est un débat à mener dans toutes les fédérations syndicales, dans la perspective de mieux préparer les futurs combats.
Publié dans le n° 407 de solidaritéS (Suisse).