Le 23 octobre, l’ONG de défense des droits humains Human Rights Watch publiait un rapport consacré aux « arrestations arbitraires et [aux] tortures sous l’Autorité palestinienne et le Hamas »1. Un document préoccupant mais guère surprenant, tant on sait que les directions des principales forces palestiniennes sont davantage préoccupées par leurs maigres positions de pouvoir et leurs avantages matériels et symboliques que par le sort du peuple palestinien.
Le rapport de Human Rights Watch repose essentiellement sur des témoignages recueillis auprès de PalestinienEs victimes de mauvais traitements de la part des diverses forces de sécurité de l’Autorité palestinienne (AP) et du Hamas. Ces témoignages sont accablants, et confirment ce que celles et ceux qui s’intéressent à la situation en Cisjordanie et à Gaza, au-delà du seul rapport entre les Palestiniens et Israël, savaient – malheureusement – déjà.
« Vingt-cinq ans après les accords d’Oslo, les autorités palestiniennes n’ont acquis qu’un pouvoir limité en Cisjordanie et à Gaza. Pourtant, là où elles jouissent de l’autonomie, elles ont développé des États policiers parallèles. » Ainsi s’exprimait Tom Porteous, directeur adjoint de la division Programmes à Human Rights Watch (HRW), lors de la présentation du rapport. Les dizaines de témoins cités par HRW confirment que les pratiques du Hamas à Gaza et de l’AP en Cisjordanie sont largement assimilables à celles d’États policiers : arrestations d’opposantEs – réels ou supposés – pour des prétextes divers, détentions arbitraires, violences exercées lors des interrogatoires, menaces contre la famille et les proches, etc.
Double oppression
« Ils ont fait passer un bout de tissu et de corde au milieu de mes menottes et l’ont tiré vers le haut le long de la porte. Il y avait un crochet entre la porte et le plafond. Ils ont tiré le tissu vers le haut, ce qui soulevait mes mains très haut derrière mon dos. Mes jambes n’étaient pas ligotées et le bout de mes pieds touchait le sol. J’ai été maintenu dans cette position insupportable pendant 45 minutes. Un agent m’a frappé dans le dos avec un gros bâton, entre mes omoplates, plusieurs fois… » (Alaa Zaqeq, étudiant de troisième cycle de 27 ans, détenu par les forces de sécurité de l’AP pendant trois semaines, en avril 2017) ; « J’ai été forcé à rester debout avec un bandeau sur les yeux toute la journée dans une pièce appelée "le bus". Il y avait 5 à 10 personnes avec moi. Une fois, ils nous ont assis sur de petites chaises, mais nous devions demander la permission pour tout, même pour dormir ou parler. J’y ai passé 30 jours... Après le premier jour, les coups ont commencé, ils m’ont demandé de tendre les mains et se sont mis à les frapper avec un câble et à me fouetter la plante des pieds. » (Fouad Jarada, journaliste de 34 ans travaillant pour la Palestinian Broadcasting Corporation, arrêté en juin 2017 par les forces du Hamas).
Tous les témoignages, ou presque, racontent la même histoire, et l’on ne peut qu’être frappé par les similitudes qui existent entre les pratiques des autorités d’occupation et celles des forces de sécurité palestiniennes. Le « modèle israélien » semble s’être exporté côté palestinien, a fortiori du côté de l’AP qui, contrairement au Hamas, coopère directement avec les services israéliens, notamment dans le domaine du renseignement. La lutte de libération nationale semble bien loin, et l’on mesure à quel point le piège d’Oslo s’est refermé sur les PalestinienEs : les bantoustans auto-administrés sont les lieux d’une double oppression, et l’AP comme le Hamas sont prêtes à tout pour conserver leur maigre pouvoir et les avantages matériels et symboliques y afférents. Une raison supplémentaire d’écouter et de relayer les voix qui, du côté palestinien, appellent à en finir avec la tragique farce des « autorités palestiniennes », qui a dévoyé la lutte de libération nationale en la transformant en lutte de pouvoir entre factions, et à renouer avec un authentique projet anticolonial, seul à même de remobiliser une population désabusée.
Julien Salingue