Le 12 janvier 2012, le Président birman a signé une amnistie permettant la libération d’environ 300 prisonniers politiques. Un geste fort qui semble vouloir indiquer dans le pays et à la communauté internationale que la Birmanie prend le chemin de la démocratie. Cette annonce s’inscrit dans un contexte de changements significatifs sur le terrain politique, avec les groupes ethniques en guerre et au niveau des relations internationales.
Ces changements sont révélateurs d’un tournant dans la situation du pays. Mais alors qu’il y a encore un an, le pays était dirigé par une junte militaire prédatrice et l’un des plus fermé au monde, il est difficile d’imaginer que les militaires se soient convertis à la démocratie. Quelles sont alors les motivations qui les poussent à entamer des réformes qu’ils ont refusées pendant des décennies? Quelles sont les perspectives réelles de démocratisation et d’amélioration des conditions de vie du peuple birman?
A la suite des élections du 7 novembre 2010, un gouvernement semi-civil, composé pour la plupart d’anciens militaires, a vu le jour en mars 2011. Ce gouvernement a cherché à établir de nouvelles relations avec l’opposition. Des rencontres officielles ont eu lieu au plus haut niveau de l’État entre Aung San Suu Kyi et le ministre Aung Kyi, puis avec le Président Thein Sein. Dans une déclaration commune, les deux partis ont affiché leur volonté «de coopérer en recherchant la stabilité et le développement national», «d’éviter les points de vue conflictuels et de coopérer sur une base réciproque». Suu Kyi a affirmé à plusieurs reprises qu’elle croyait le temps des changements arrivé et sincère la volonté du Président Thein Sein de démocratiser le pays. Elle s’est dite prête à assumer un rôle dans le gouvernement après les élections partielles qui auront lieu le 1er avril 2012. Récemment, son parti la Ligue nationale pour la démocratie (LND) a été réenregistré officiellement après avoir été dissous en 2010 et Aung San Suu Kyi a annoncé sa candidature lors des prochaines élections et le 23 décembre 2011. Les révoltes de 1988 et de 2007 ont conduit à des bains de sang et à une répression très dure. Dans un contexte où l’opposition birmane est très affaiblie, Suu Kyi semble faire le pari que de réelles évolutions sont possibles en soutenant les changements actuels, même s’ils sont encore très limités.
La situation avec les groupes ethniques qui constituent un tiers de la population du pays est une autre question épineuse. Pratiquement depuis l’indépendance en 1948, la Birmanie a été secouée par des conflits ethniques. Les minorités ethniques revendiquaient le droit à l’autonomie et s’opposaient aux nationalistes birmans dont le but était l’établissement d’un État unitaire centralisé.
Au mois de septembre 2011, le Président a offert d’ouvrir le dialogue avec l’ensemble des groupes armés sans conditions préalables. Trois principaux groupes ethniques ont depuis signé un accord de cessez le feu et des contacts ont été établis avec la plupart des autres groupes. Sur le terrain la situation reste encore conflictuelle et les populations n’ont pas vu d’améliorations significatives de leurs conditions de vie. Les groupes armés restent sceptiques quant aux intentions du gouvernement. Une paix durable ne pourra se faire sans que soient prises en compte leurs revendications qui portent sur l’égalité des droits, l’autonomie et le développement économique et la question du fédéralisme de l’État birman.
Les réformes du gouvernement, encore impensables il y a un an ne sont pas le résultat d’une conversion à la démocratie. Durant 60 ans, les militaires au pouvoir ont pillé les ressources du pays, aujourd’hui l’un des plus pauvres de la planète alors même qu’il regorge de richesses naturelles. Les «avancées» que salue la communauté internationale ont pour objectif d’obtenir la levée des sanctions économiques internationales qui permettraient les investissements étrangers dans le pays. Le développement économique potentiel de la Birmanie aiguise les appétits des multinationales. D’où un défilé de représentants des puissances occidentales (États-Unis, Australie, Union européenne, France, Norvège, Grande Bretagne…) qui font les VRP des grandes entreprises nationales et multinationales en attendant la levée des sanctions économiques.
Les réformes ont aussi eu des conséquences sur les relations de la Birmanie avec ses voisins et en premier lieu avec la Chine. La junte militaire a toujours maintenu des liens très forts avec Pékin. La Chine a investi des milliards de dollars dans le pays en infrastructures et en contrats d’achats des matières premières sans que la population birmane n’en tire de bénéfice. Parmi les grands projets, Pékin avait entrepris en 2009, la construction du gigantesque barrage de Myitsone sur la rivière Irrawaddy, dans l’État Kachin. 90 % de la production devait être acheminé dans le Yunnan en Chine. Dès la signature du contrat en 2006, le projet a rencontré une opposition très forte, en particulier parmi les Kachin. Mais avec la libéralisation en cours, les critiques ont eu un écho au niveau national. Devant la force de l’opposition, le Président a préféré suspendre sine die la construction du barrage sans même prévenir Pékin.
Cette décision semble indiquer une volonté du gouvernement d’élargir ces soutiens au niveau international et de ne pas rester trop dépendant de Pékin. D’autre part, le passage d’une dictature militaire à une démocratie (de façade) n’est pas chose aisée. Le Président Thein Sein a passé un accord avec Suu Kyi pour pouvoir mener des réformes sans bouleversements de la rue. Le mouvement social qui s’est développé autour du barrage de Myitsone semble indiquer que la chose pourrait ne pas être aussi aisée.
Danielle Sabai