Ce dimanche 24 janvier 2021 se tenait un rassemblement sur la Place de l’Albertine à Bruxelles pour dénoncer le racisme et le caractère de classe de la justice en Belgique. Une action similaire avait été interdite par le Bourgmestre de Bruxelles le 5 décembre 2020. Si cette fois le rassemblement n’a pas été purement et simplement interdit, il n’a pas non plus été autorisé. Les autorités politiques et la police s’offraient donc toute la liberté de réprimer l’évènement si l’envie leur en prenait.
Dans ces conditions, et en concertation avec elles, la présence des familles des victimes de violences et de meurtres policiers ainsi que de nombreuses autres, n’était plus possible. Le risque était trop grand, elles ne prendront donc pas la parole, tel qu’initialement prévu. En cela, les autorités du pays, à tous les niveaux, ont donc réussi leur coup : fermer une fois de plus l’espace public aux familles. S’il fallait encore une preuve du caractère fondamentalement raciste de l’institution policière et de tout l’appareil politique qui la soutient, en voilà une. Situation abjecte, où prendre la vie d’un fils ou d’une fille ne suffit pas. Il faut encore déployer tout ce que l’Etat sait mobiliser de répression pour, dans les faits, tenter de les forcer au silence et de les assigner à résidence.
Dès l’entame du rassemblement, la tension est palpable. Alors qu’un accord a été passé avec les officiers de police de la ville de Bruxelles qui encadrent la manifestation afin de tolérer celle-ci pour 45 minutes, les renforts fédéraux nous intiment de quitter les lieux immédiatement, sous prétexte que le rassemblement est tout bonnement interdit. Stupeur, les différentes forces de police présentes ne sont pas sur la même longueur d’onde.
Durant toute la durée des prises de parole, la police encercle la place. Sa présence est massive et ostentatoire. Ses membres sont déjà en tenue de maintien de l’ordre, prêts à intervenir. Des premiers incidents ont déjà lieu : plusieurs jeunes sont durement contrôlés aux abords du dispositif dont le seul « crime » est clairement d’être les indésirables racisé.e.s de l’espace public. En fait, l’information se confirme que la police empêche des gens de rejoindre le rassemblement.
Celui-ci durera bien les 45 minutes octroyées par la police, pas une de plus. Le temps écoulé, les forces de l’ordre se rapprochent, le cercle se rétrécit. Il faut quitter la place immédiatement. La plupart des personnes présentes s’éloignent, d’autres s’attardent quelques instants, dont certaines pour répondre aux interpellations des médias. Soudain, le basculement. Depuis la chaussée, des policiers cette fois munis de boucliers et de matraques arrivent au pas de course et ferment la route. Le nombre de policiers présents explose. Ils crient, chargent, poussent et interpellent déjà dans les rues adjacentes. Leur agressivité est tout simplement stupéfiante, presque paralysante.
Très vite, en bas de la place et en direction de la Gare Centrale, un face à face se tient entre la police et des participant.e.s au rassemblement, principalement des jeunes, dont certain.e.s ont courageusement et brillamment pris la parole quelques minutes auparavant. Iels sont entouré.e.s, dépassé.e.s en nombre par des policiers faisant un usage massif des chiens et du gaz lacrymogène. Dans le chaos qui s’ensuit, la police fait une nouvelle fois courir un danger mortel à l’un d’entre eux : un véhicule de maintien de l’ordre accélère brutalement en direction de la petite foule et percute un adolescent, qui tombe violemment au sol avant de se relever et de s’éloigner.
Quelques minutes plus tard, toutes ces personnes sont nassées aux abords de la Gare Centrale. On en compte bien une cinquantaine. Certaines sont au sol, immobilisées, entourées de dizaines et de dizaines de policiers, sous la menace permanente des autopompes. Elles sont progressivement évacuées dans les bus de la police en direction des casernes. Un public très jeune, de personnes en grande partie non-blanches.
Au final, en réponse à un rassemblement d’un peu plus de 150 personnes, ce sont des moyens gigantesques qui ont été déployés, appliqués avec une force implacable et une violence inouïe : renforts fédéraux et de zones de police de presque tout le pays, motos, chevaux, véhicules par dizaine, six autopompes, un hélicoptère. Toutes les personnes présentes pourront en attester : la police est la seule responsable des troubles qui ont émaillé l’après-midi. Dans son discours, elle le démontre d’ailleurs elle-même lorsque sa porte-parole reconnait que « la manifestation s’est passée dans le calme ». Effectivement, jusqu’à ce que la police en décide autrement et procède à plus d’une centaine d’arrestations au total.
Enfin, sur le chemin du retour, nous apprenons qu’une action de Rise for Climate s’est tenue Place du Luxembourg, dans une ambiance paisible sous l’œil d’une présence policière négligeable. Il est bien sûr heureux de voir que ces personnes aient pu tenir leur rassemblement dans de telles conditions. Mais quel contraste avec ce qui est en train de se passer quelques centaines de mètres plus loin. Dans ce pays, certains usages des libertés démocratiques ne sont pas tolérés, certains messages ne sont pas bons à porter. Exiger la vérité et la justice pour les victimes de meurtres policiers en fait partie. Exiger la fin du racisme, du sexisme et du caractère de classe de la police et de la justice aussi. À toutes les personnes et les organisations politiques qui somment et soutiennent la répression de tels rassemblements, et ne disent rien de la violence inhumaine systématique et permanente envers les catégories sociales opprimées : cessez à tout jamais de vous prononcer sur la démocratie, la liberté, l’égalité ou la dignité humaine car ce ne sont pour vous que des mots creux. Vous en êtes indignes.
La police humilie, elle mutile, elle violente, elle tue. Lorsque des personnes s’unissent pour le dénoncer, la police humilie à nouveau, mutile, violente et menace de tuer. Un jour néanmoins, nous serons plus nombreux qu’elle dans la rue. Ce jour-là sera un jour magnifique.