Publié le Vendredi 21 octobre 2016 à 08h53.

Thaïlande : Succession monarchique sous l’égide de l’armée

Le roi est mort, vive le roi ? La royauté thaïe légitime le pouvoir en place plus qu’elle ne le possède. Cette fonction risque d’être mise à mal avec l’intronisation du prince héritier.

La mort du roi Bhumibol Adulyadej (Rama IX) a été officiellement annoncée le 13 octobre. Il avait 88 ans, aura régné sept décennies et aurait joui, dit-on, d’une popularité et d’un respect sans pareils... L’histoire des monarchies n’est cependant jamais un roman à l’eau de rose.

Depuis 1932, la royauté en Thaïlande n’est plus absolue, mais constitutionnelle. À de rares interludes près, le pouvoir réel est détenu par l’armée. Bhumibol est monté sur le trône en 1946 (sous régence jusqu’en 1950), après que son frère fut mort d’une balle dans la tête dans des circonstances mal élucidées. Au temps de l’escalade militaire US au Viêtnam, le pays a été transformé en un immense porte-avions terrestre et couvert de bordels destinés au repos des GIs. La junte militaire a été renversée en 1973, à l’occasion d’un soulèvement étudiant, mais trois ans plus tard, l’ordre dictatorial a été rétabli par un coup d’État sanglant... avec l’appui du palais.

L’autorité du palais royal était alors, de nouveau, au plus bas. Pour la rétablir, la « tradition culturelle » n’aurait pas suffi. Un véritable culte de la personnalité a été construit des années durant avec l’aide des États-Unis et de leurs services de propagande. Son effigie est devenue omniprésente, le respect affiché une obligation, le crime de lèse-majesté s’est avéré une arme redoutable pour réprimer quiconque sort des clous ou interdire tout débat sur le régime, à l’instar de l’accusation de blasphème ou d’atteinte à la sécurité nationale en d’autres pays. Bhumibol Adulyadej a joué son rôle de parfaite façon. Il s’est laissé déifier sans pour autant contester le pouvoir à ceux qui le détenaient. D’allure austère, l’expression triste et lointaine, il pouvait incarner une figure protectrice aimée du peuple, une posture que certains qualifient de « paternalisme despotique ».

Nouveau tyran ?

Les princesses étant d’office écartées de la succession, le prince héritier   (64 ans) doit donc monter sur le trône, alors qu’il s’avère incapable de jouer le même rôle que Bhumibol. Vivant à Munich plus qu’en Thaïlande, il est réputé play-boy, noceur, et les vidéos de ses frasques font le tour des chaumières... Il a même été photographié descendant d’un avion en blue-jeans taille basse, débardeur découvrant le ventre, le buste couvert de tatouages temporaires. Il a fait de son caniche Foo Foo un haut officier de l’armée de l’air. Ce comportement peu protocolaire pourrait être amusant si le personnage n’était pas aussi inquiétant. Vindicatif à l’extrême, il poursuit de sa hargne les proches de son père. Il a des comportements de tyran.

La famille royale est aujourd’hui la plus riche de la planète, sa fortune est évaluée à 35 milliards de dollars (31,70 milliards d’euros). Mais quel est son pouvoir effectif ? La question est controversée. La reine Élisabeth est elle aussi une grande possédante, mais ne gouverne pas pour autant. Toujours est-il que sur le plan idéologique, les piliers du régime sont constitués de la monarchie, de l’armée et du clergé bouddhiste. Mais si cette Sainte-Trinité fonctionnait effectivement, la junte actuellement au pouvoir n’aurait pas besoin d’imposer un ordre particulièrement verrouillé et oppressif. La succession de Bhumibol rend l’avenir encore plus incertain qu’il ne l’était déjà.

Pierre Rousset