La grande fête de Newroz a rassemblé cette année une foule immense à Diyarbakir, avec un espoir : trouver enfin une solution politique à un conflit qui dure depuis des décennies dans la région kurde.
Un message d’Öcalan pour Newroz a été diffusé par les haut-parleurs, ce qui n’était pas arrivé depuis plusieurs années, Öcalan étant à l’isolement total. Le portrait du charismatique président du PKK était partout, ce qui n’était pas autorisé précédemment. Le portrait de Selahettin Demirtas, l’ancien président du HDP (devenu DEM) aussi. Les négociations autour d’un cessez-le-feu ne sont pourtant pas simples.
Négociations du gouvernement turc avec le PKK
L’État turc exige que le HKG, la branche armée du PKK, rende et les armes et que le PKK se dissolve. Murat Karayilan et Duran Kalkan, les deux dirigeants historiques de la branche armée, tout en soutenant l’appel d’Abdullah Öcalan, y mettent des conditions. L’une étant que les attaques turques au Kurdistan d’Irak cessent, sinon les HKG continueront à se défendre. L’autre étant que le PKK puisse organiser un congrès représentatif pour dissoudre le parti avec un accès libre et sécurisé pour les déléguéEs.
Le leader du parti MHP — parti d’extrême droite en alliance au gouvernement avec l’AKP d’Erdoğan — Bahçeli, vient de proposer un lieu : la ville de Mazargit, dans la région kurde de la Turquie. Il s’agirait donc de réunir les cadres et dirigeantEs du PKK dans un lieu choisi par l’État turc, ce qui serait un acte, plus que de confiance, on pourrait dire de foi...
D’autant que si Bahçeli est extrêmement volubile sur la question des négociations, Erdoğan et l’AKP restent silencieux. Erdoğan a en effet un autre projet en tête : se faire réélire président aux prochaines présidentielles, prévues en 2028 mais probablement avancées. Il ne peut pas se représenter pour un 3e mandat, sauf si son 2e mandat est raccourci pour une raison quelconque. Dans ce cas, il lui faudrait l’accord des trois cinquièmes du Parlement. La rumeur court que les négociations sur la libération d’Öcalan et des autres prisonniers politiques auraient un lien avec ce vote crucial pour Erdoğan. Mais il est peu probable que les éluEs du HDP/DEM déroulent le tapis rouge à Erdoğan pour un 3e mandat.
L’emprisonnement injustifié d’Ekrem Imamoğlu
Pour s’assurer la victoire, il a fait incarcérer Ekrem Imamoğlu le 24 mars, le très populaire maire d’Istanbul, qu’il avait déjà empêché de se présenter aux dernières présidentielles en lui collant un procès pour « insulte envers un membre de la commission électorale ». Cette fois-ci, il l’accuse de ne pas avoir obtenu son diplôme universitaire d’il y a 30 ans, nécessaire pour se présenter aux élections, et d’être en lien avec une organisation terroriste (le PKK). Imamoğlu a été incarcéré dans la célèbre prison de Silivri, un immense complexe de 20 000 places, sans possibilité de contact avec les autres détenus. Osman Kavala y est enfermé depuis 900 jours sans procès.
Cette arrestation ne passe pas auprès d’une grande partie de la population turque. Imamoğlu est le président du CHP, le parti kémaliste, pilier pendant des décennies de l’État turc. Depuis le 22 mars, d’énormes manifestations se déroulent dans les grandes mais aussi les petites villes. Ce mouvement populaire pourra-t-il faire reculer Erdoğan qui détient tous les pouvoirs, police, armée mais aussi le pouvoir judiciaire ? Rien n’est moins sûr.
Mireille Court