Publié le Dimanche 29 mai 2011 à 15h15.

« Affaire DSK » : le viol du silence

Tout est à nous ! a demandé à Clémentine Autain une tribune sur les réactions provoquées par « l’affaire DSK », notamment en regard de la situation des femmes.

Sans doute y aura-t-il un avant et un après « l’affaire DSK ». En déchaînant les affects, la plainte pour viol déposée contre le patron du FMI aura mis en lumière le mépris à l’égard de la parole des femmes et la solidarité de classe qui dominent l’espace public français. Seuls deux protagonistes, Dominique Strauss-Kahn et la jeune femme de chambre, savent ce qu’il s’est réellement passé dans la chambre 2806. Mais la réception de l’événement est symptomatique d’une société qui maintient le viol dans le tabou et protège les puissants.

La version de la plaignante est d’abord apparue impensable aux yeux du plus grand nombre, à commencer par les leaders politiques et médiatiques. Aussi juste soit-elle, la présomption d’innocence fut martelée si fort qu’elle semblait transformer DSK en victime présumée. La thèse du complot tenait clairement la corde. Les pensées pour l’homme qui « traverse une épreuve », pour sa femme et ses camarades, ou les commentaires sur l’image de la France et l’avenir du PS ont dominé. Ségolène Royal, dès le dimanche soir au JT de France 2, déclarait : « je pense d’abord à l’homme ». Elle n’aura aucun mot pour la femme de chambre. Le lendemain matin, Jean-­François Kahn a dit son impression sur France Culture : ce n’est qu’un « troussage de domestique ». Pour Jack Lang, qu’on se le dise : « il n’y a pas mort d’homme ». Autrement dit, ce n’est qu’un viol de femme, ce n’est pas bien grave… BHL ne fut pas en reste pour défendre son « ami », qui n’est pas « un quidam », « un justiciable comme un autre ». En effet, tout le monde n’a pas un million de dollars pour sortir de prison…

Les leaders politiques appelaient à la retenue et à la décence. Mais la décence, n’était-ce pas aussi d’avoir un mot, une pensée, une émotion, pour la jeune femme de chambre qui a peut-être subi un acte odieux et qui traverse, elle aussi, un moment difficile ? Il y a eu deux poids, deux mesures. Dans les faits divers concernant des gens « ordinaires », un homme arrêté pour viol apparaît dans la presse comme un « violeur présumé ». Pas DSK. Faut-il comprendre ce traitement plus favorable en raison de sa position sociale ? Comme l’a récemment montré le cas d’Éric Woerth, la présomption d’innocence n’est pas suivie à la lettre dans les affaires de corruption, car ce qui est en cause paraît politiquement très grave. Sans doute faut-il donc voir dans le cas DSK, en plus d’un prisme de classe, le signe de la tolérance sociale à l’égard de ce type de crimes et délits.

La sidération révélait également l’interrogation partagée : comment un homme aussi puissant, aussi intelligent, aurait-il pu commettre un viol ? Dans notre imaginaire, le violeur se recrute plutôt dans les catégories populaires. Les « tournantes » se passent en banlieue, avec des jeunes garçons arabo-musulmans. Pas dans les hôtels de luxe, avec des surdiplômés richissimes. Nous ne voulons pas voir que toutes les catégories socio­professionnelles sont concernées, que les viols en réunion se passent aussi dans les beaux quartiers, que certains hommes de pouvoir utilisent leur position de domination pour obtenir des relations sexuelles forcées, en politique comme dans les entreprises. Nous ne voulons pas voir la triste banalité des agressions sexuelles.

La tolérance sociale à l’égard des violences faites aux femmes est le fruit d’une histoire, celle du patriarcat. Le pays du droit de cuissage ne sort pas indemne de son passé. Aujourd’hui encore, les identités masculin/­féminin se structurent autour du couple actif/passive, dominant/dominée. La sexualité est marquée par ces normes sexistes qui pèsent sur nos fantasmes, nos représentations et nos pratiques. Mais attention à ne pas tout mélanger. La condamnation du harcèlement, des agressions sexuelles et des viols ne doit pas s’accompagner d’un retour de l’ordre moral ! À chacun sa sexualité, dès lors qu’il s’agit de deux adultes consentants. Séduire, ce n’est pas harceler. L’adultère ou l’échangisme, qui relèvent de la vie privée, n’ont rien à voir avec les violences sexuelles. Attention à ne pas tout mélanger.

Quelle que soit l’issue du procès, l’affaire DSK doit être l’occasion de délier les langues, de regarder en face la réalité et la gravité de cet acte ultime de domination d’un sexe sur l’autre. Plusieurs dizaines de milliers de femmes – 75 000 selon les estimations – sont victimes de viol en France, chaque année. Un acte profondément destructeur pour les victimes et qui pèse comme une menace sur la liberté de toutes les femmes.

Clémentine Autain