Roseline Vachetta, qui a été députée européenne, avec Alain Krivine, de 1999 à 2005, est intervenue en meeting à Lille le 20 avril 2024 pour présenter l’analyse du NPA et des éléments d’orientation sur l’Union européenne.
On explique aux populations que l’Europe a été créée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, pour créer un espace de paix, pour en finir avec les guerres notamment entre la France et l’Allemagne. Mais cette Europe-là est en réalité née à la fois du chaos – toutes les économies européennes avaient été détruites, mais aussi les peuples, les villes et les agricultures – et avec une intention capitalistique puisqu’elle s’est construite depuis le début dans le contexte du plan Marshall de 1947.
Aux origines de l’Union européenne
Il y avait alors dans le monde une économie qui allait très bien : c’était l’économie des États-Unis qui n’avaient pas eu de destruction sur leur territoire. Elle était la plus puissante et pouvait, à travers le plan Marshall, porter un plan de reconstruction sur toute l’Europe. Pour les Européens, il y avait toutefois un coût très important à accepter le plan Marshall : l’argent étant versé en dollars, il devait être d’abord investi dans des entreprises américaines. Cela a permis au capitalisme nord-américain de s’installer sur les territoires européens. Et c’est ce que l’on paie encore aujourd’hui, par exemple avec les usines Ford dont a été victime, avec d’autres, notre camarade Philippe Poutou, mais aussi avec l’installation d’IBM, de Coca-Cola ou encore de la culture Hollywood.
Ainsi, le plan Marshall a été le cadre dans lequel est pensée la construction européenne, qui devait se développer dans une logique de libre échange évidemment avec les États-Unis mais à terme aussi avec l’ensemble du monde. Cela a couté cher en termes de dépendance de l’Europe, puis d’inscription dans le capitalisme mondial. Mais aussi en termes de construction politique, puisque cette Europe ne pouvait qu’avoir une organisation non démocratique.
L’Europe a ainsi été construite par en haut sur les intérêts du capital et non sur les besoins des peuples, ce qui a constitué sa marque de fabrique originelle qui n’a cessé depuis lors de s’approfondir. Tous les traités qui ont construit l’actuelle UE tournent d’ailleurs tous autour du marché commun. La liberté de circulation qui a été construite a ainsi été d’abord et avant tout celle des services, des biens et des capitaux, le tout sans démocratie comme en témoigne la création d’une Banque centrale indépendante de tous les pouvoirs et évidemment des peuples, ou encore les critères contraignant les choix budgétaires des États. C’est une Europe qui empêche les peuples de faire d’autres choix que ceux qui leur sont imposés depuis le début. C’est bien pratique pour les gouvernements qui expliquent que c’est de la faute à l’Europe quand ça ne va pas, même si en pratique ce sont bien eux qui la dirigent. Dans l’UE, la décision ne peut se faire que pour le profit capitaliste.
Le libéralisme au cœur
Les différentes politiques européennes (la politique agricole commune, la politique sociale, la politique économique, la politique européenne de sécurité commune qui créera Frontex) mettent en fait en musique les orientations imposées par le capital. Tel a par exemple été l’accord général sur le commerce des services, qui s’est discuté dans les années quatre-vingt, à une époque où 14 des 15 États européens étaient dirigés par des partis socialistes. Mais cet accord a été un accord purement capitaliste, qui a ouvert toutes les grandes libéralisations dans l’éducation, la santé, les transports, la poste, les autoroutes, les banques et l’énergie. C’est une mise en concurrence généralisée, qui a aussi permis de faire pression sur le coût de la force du travail, afin qu’elle soit à un prix toujours plus bas, en particulier en faisant baisser ce que les marxistes appellent le salaire indirect, c’est-à-dire la protection sociale et les retraites.
L’Europe s’est aussi construite par une quarantaine d’accords de libre-échange, avec des États ou des groupes d’États. Ces traités n’ont qu’un but : élargir la quantité de marchandises qui circule et favoriser le dumping social. Parmi ces accords de libre-échange se trouve l’accord d’association de l’Union européenne avec l’Israël, qui a été mis en place en 1959 et a été réactualisé régulièrement, pour la dernière fois en 2010. Cet accord permet à Israël d’être placé sur le même plan qu’un État voisin de l’UE, ce qui permet à son économie de n’avoir pratiquement aucun droit de douane lorsque ses produits sont exportés vers l’Europe. Cet accord permet d’intégrer largement Israël dans le marché commun européen : 33 % des exportations et 40 % des importations d’Israël se font ainsi avec l’Union européenne. Loin de vouloir remettre en cause cet accord, l’UE veut au contraire le développer et prépare depuis 2022 un nouvel accord, afin de profiter des importants gisements de gaz d’Israël, qui pourraient remplacer le gaz qui vient de Russie.
Une Europe autoritaire et raciste
Parce qu’elle est un instrument des dominants contre les besoins des peuples, cette Europe est forcément autoritaire, en premier lieu par ses institutions. Le pouvoir clef réside dans le Conseil, qui se réunit tous les six mois pour les sommets européens où se définissent les orientations politiques. Ensuite, la Commission européenne, formée de commissaires européen·nes nommé·es par les gouvernements, met en musique les orientations du conseil. Ensuite, ces propositions de la Commission sont examinées par le Parlement mais aussi par les conseils des ministres, qui réunissent les ministres, compétence par compétence.
Le système est tellement antidémocratique que le Parlement, créé dans les institutions depuis les années cinquante, était jusqu’en 1979 désigné par les gouvernements. Même s’il est désormais élu, le Parlement ne peut décider qu’avec le Conseil des ministres. Il faut le dire et le répéter : le Parlement ne peut faire la loi et les peuples européens élisent des représentants qui n’ont jamais le dernier mot, puisque les gouvernements ont toujours une voie prépondérante.
Parmi les grands pactes européens actuels, il faut évoquer le pacte pour la migration et l’asile qui vient d’être voté le 10 avril. C’est une suppression du droit et de la justice aux frontières, puisqu’ils installent une filtration aux frontières extérieures de l’Europe, avec sept jours de rétention administrative pour tous les arrivants. Ce sont des techniciens, désignés par les offices nationaux d’immigration, qui décideront alors du sort des migrant·es, avec la possibilité d’en renvoyer certains chez eux ou dans un pays tiers au terme de ces sept jours. Se trouvant en rétention en dehors du territoire européen, les migrant·es n’auront pas accès à la justice et ils ne pourront pas contester les décisions prises. Quant aux autres, leur sort sera examiné, avec une possibilité de prolonger leur rétention administrative qui pourra aller jusqu’à un an. Cette décision se fera en dehors des principes habituels du droit, qui veut que les situations soient jugées individuellement, puisque le sort des migrants sera défini selon leur nationalité. Chaque nationalité aura un quota et si ce quota est dépassé, le ou la migrant·e ne pourra être accepté·e quelle que soit sa situation et les risques pour sa personne.
Quand on parle de l’Europe, il faut aussi parler de l’OTAN, qui a été créée en 1949 comme alliance politique et militaire avec les États-Unis, qui voulaient endiguer le communisme et l’URSS. Puis l’URSS a disparu, mais l’OTAN a continué, avec d’autres objectifs prétendus : contre le terrorisme, mais aussi contre la prolifération des armes de destruction massive, puisque certains pays ont le droit d’avoir des armes nucléaires, mais d’autres non. L’OTAN s’occupe aussi de cyberdéfense, s’occupe aussi de la lutte contre l’immigration. Elle est aussi intervenue dans un tas de pays, la Serbie, la Libye, le Darfour, l’Afghanistan, la Somalie, etc.
La PAC
Enfin, je voulais prendre l’exemple de la Politique agricole commune (PAC), qui a été créée en 1962. Au début, le but était de reconstruire l’agriculture et pour cela, il y avait des prix minimaux, la création de stocks européens pour pallier les problèmes d’approvisionnement et la suppression des droits de douane. Dans ses premières années, la PAC a pris une grande place, mais sans qu’il y ait une surproduction trop importante. Après Maastricht et l’essor de la concurrence libre et non faussée, l’UE décide de modifier sa politique, qu’elle trouvait trop dirigiste et surtout trop égalitaire.
À partir de 1993, chaque producteur a dû négocier avec les entreprises de l’agroalimentaire et les distributeurs. Le résultat a été rapide : en vingt ans, les profits de l’agroalimentaire ont augmenté de 64 % et ceux des distributeurs de 188 %. Au lieu d’une aide collective à l’agriculture, l’UE a en effet mis en place une aide directe aux agriculteurs, avec un principe simple : plus vous êtes gros, plus vous touchez d’argent. Cette politique a produit les fermes usines, les exploitations de 800 hectares pour des céréaliers, mais aussi, par contre-coup, la disparition des paysans. Si dans les années soixante-dix, il y avait 45 % d’agriculteurs vraiment paysans, aujourd’hui il y en a 2 %. Il y avait alors un million de fermes tandis qu’aujourd’hui il n’y en a plus que 400 000. D’immenses exploitations produisent de la malbouffe, de la production pour l’exportation, tandis que de plus en plus de gens sont en situation de famine.
Guerre et montée de l’extrême droite
Passons désormais aux enjeux de ces prochaines élections, qui se situent dans un contexte dominé par un affrontement économique, colonialiste, des grandes puissances et des impérialistes, qui a amené les dépenses militaires dans l’Union européenne à augmenter de 123 % depuis 2014. Ce contexte, c’est aussi la guerre en Ukraine et en Palestine. La guerre constitue un marché pour la France, troisième producteur et troisième exportateur mondial d’armes, ce qui explique aussi le soutien absolument scandaleux que les autorités françaises ont pu apporter à Netanyahou.
Le contexte de ces élections, c’est aussi le pacte austéritaire. Nos droits font l’objet d’attaques massives, sur le chômage ou encore les retraites. Les salaires sont gelés et l’inflation frappe durement de nombreuses personnes, qui vont de la pauvreté à la misère. Cela veut dire qu’on va avoir encore une abstention extrêmement forte et un risque d’extrême droite extrêmement puissant. Selon les sondages, un tiers des électeurs se prononceraient pour l’extrême droite, une extrême droite qui n’a en fait pas changé. Il n’est en effet pas vrai que Marine Le Pen a normalisé le Rassemblement national : c’est en fait la droite qui s’est extrême droitisée. Aujourd’hui la droite a la même rhétorique que l’extrême droite : le repli sur la nation, la défense de la nation, le racisme mais aussi le sexisme. Il y a quand même 12 des 27 États membre de l’UE qui sont contre le mariage pour tous.
Toute cela fait que c’est le discours de l’extrême droite qui imbibe nos quartiers, parfois aussi des salarié·es. Le racisme, le sexisme, l’homophobie, l’islamophobie, augmentent d’une façon importante. Tout cela permet l’essor des Fratelli d’Italia et de la Ligue du Nord, mais aussi de Vox en Espagne, de Droit et Justice en Pologne, de Fidesz en Hongrie, tandis que l’extrême droite ne manque pas d’incarnations en France, avec le Rassemblement national, Reconquête et les Patriotes.
Quelques enjeux politiques
Pour autant, ce qui est clair pour nous, c’est que nous ne soutiendrons pas la politique de la gauche dans ce pays, ni des gauches européennes. Ils sont tellement pareils que la droite au niveau européen que, lorsque j’étais au Parlement européen, les socialistes et la droite s’étaient accordés pour alterner tous les six mois à la présidence du Parlement européen. Et cela ne posait aucun problème, parce qu’ils menaient exactement la même politique.
Dans cette élection, nous n’aurons pas de liste, car cela coûte trop cher et qu’on n’y arrivera pas. Mais on défendra nos idées et pour certaines d’entre elles, on le fera avec la FI, ce qui explique nous leur ayons proposé de présenter une liste commune. Pour nous, ces élections doivent permettre de dénoncer les impérialismes et les colonialismes et d’afficher notre soutien aux résistances de tous les peuples. Il nous faut dénoncer l’accord UE Israël et la complicité de l’État français. Nous voulons aussi défendre d’un accueil inconditionnel des migrant·es, avec la liberté de s’installer, de circuler. Nous voulons aussi développer un programme qui porte une bagarre contre toutes les inégalités, les inégalités de genre, les inégalités entre étranger·es et français·es, etc. Nous continuerons aussi à nous opposer aux traités et à leur logique capitaliste, en refusant le dumping social et fiscal.
Nous voulons aussi porter des revendications sur la hausse des salaires, l’extension de la protection sociale et des services publics, la réduction du temps de travail, la défense des retraites à 60 ans. Mais aussi la socialisation des grandes entreprises, la sortie du nucléaire, etc. Il faut s’appuyer sur des luttes victorieuses, parmi lesquelles on trouve souvent des femmes au bas de l’échelle, mal payées, sous-payées, souvent mères seules. Enfin, il nous faut défendre une perspective politique pour l’écologie, en répondant au productivisme actuel par la mise en place d’une alimentation saine et accessible pour tous, en développant les productions locales, mais aussi par la protection de nos bien communs comme l’eau.
Je pense que nous devons accepter l’adhésion des peuples européens qui veulent entrer dans l’Union européenne, comme la Moldavie, l’Ukraine et des peuples des Balkans, non pas parce qu’on veut renforcer cette Union européenne, mais parce qu’on pense qu’on a besoin de tous les peuples qui le souhaitent pour se battre contre cet ordre-là. Au nom de quoi refuserait-on l’adhésion à l’UE aux peuples qui la demandent ? Parce qu’ils vont appauvrir l’Union européenne ? Je pense qu’il faut vraiment entendre l’envie de ces peuples se regrouper avec d’autres.