Publié le Dimanche 4 mai 2014 à 20h37.

« Dépendance » : les personnes en perte d’autonomie ne sont pas des marchandises !

La réforme, ce serpent de mer... Tout au long de l’ère Sarkozy, les promesses de réaliser « une réforme de la dépendance » n’ont pas manqué ! Annoncé dès 2007, le vote d’une loi a été repoussé à de nombreuses reprises, pour devenir un engagement électoral pour « 2013, quand le déficit sera ramené à 3 % du PIB... »  ! Même scénario pour François Hollande qui a promis aussi « qu’un de ses premiers chantiers » serait « une réforme de la dépendance permettant de mieux accompagner la perte d’autonomie ». Le projet de loi d’orientation et de programmation « pour l’adaptation de la société au vieillissement », publié en février et devant être présenté au conseil des ministres du 9 avril 2014, semble tombé aux oubliettes sans explication. Sans doute aussi en attente de jours meilleurs... Et pourtant la situation des personnes n’ayant pas toute leur autonomie, leur besoin de vivre dans la dignité, de bénéficier de bonnes conditions matérielles, sociales, de recevoir des soins adaptés, sont bien loin d’être satisfaisantes. Et pourtant les conditions de travail et salariales des personnels des institutions en charge de cette question sont très mauvaises.

Dossier réalisé par la commission santé sécu social du NPAQu’est-ce que la perte d’autonomie ?

À la notion de « dépendance » qui sous-entend une mise sous la tutelle d’autres personnes ou d’institutions, nous préférons celle de « perte d’autonomie » qui concerne toutes les personnes âgées ou handicapées, qui doivent bénéficier de la solidarité afin de leur apporter une aide dans la vie quotidienne.

La perte d’autonomie, c’est l’incapacité pour une personne d’assurer, seule, certains actes de la vie courante pour des raisons aussi bien physiques que psychiques et à des degrés divers, en raison de différents facteurs, la situation sociale, familiale, matérielle (logement sans ascenseur par exemple) qui influent sur la vie de chacun. La perte d’autonomie ne concerne pas que les personnes âgées : à tout âge chacun peut perdre son autonomie. Dans le système capitaliste, toutes les personnes qui ne valorisent pas le capital, qui ne participent pas à la circulation des marchandises ou sont hors des appareils de reproduction de la société ont un statut dégradé, et sont continuellement stigmatisées : ce sont « des charges » pour la société. Cette situation s’aggrave avec la perte d’autonomie, car non seulement elles ne sont plus exploitables mais leur coût est trop élevé !

Financement et prestations

Sarkozy voulait faire contribuer les familles, instaurer une nouvelle journée de solidarité, imposer une assurance obligatoire, augmenter la CSG des retraités. Hollande a mandaté des experts pour rédiger trois rapports : ils préconisent une hausse de la CSG en alignant le taux acquitté par les retraités imposables (6,6 %) sur celui des actifs (7,5 %), la mise à contribution du patrimoine en augmentant les droits de succession, la multiplication des « jours de solidarité » comme cela a déjà été fait en travaillant gratuitement une journée par année (en particulier le lundi de Pentecôte). Les prestations pour les handicapés et pour les personnes âgées de plus de 60 ans en perte d’autonomie sont différentes.La prestation de compensation du Handicap (PCH) est réservée à 185 000 personnes handicapées de moins de 60 ans confrontées à une difficulté absolue pour la réalisation d’une activité ou à une difficulté grave pour la réalisation d’au moins deux activités. 1,2 million de personnes âgées de plus de 60 ans bénéficient d’une aide financière, l’aide personnalisée à l’autonomie (APA), variable selon le degré d’autonomie de la personne âgée et le niveau de ses revenus. 60 % d’entre elles continuent à vivre à domicile et 40 % en EHPAD (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes). L’APA est financée à 70 % par les départements avec la recette de la journée de solidarité, et à 30 % par des contributions sociales comme la CSG. Le financement est donc fiscal.

Projet de loi sur « l’adaptation de la société au vieillissement » : « Arrêtez la poudre aux vieux » !

En 2010, des militants associatifs manifestaient à Paris avec ce slogan pour dénoncer le sous-financement de la prise en charge de la dépendance. La situation n’a pas changé et la même banderole peut être ressortie aujourd’hui... En effet, le gouvernement a rédigé un projet de loi sur « l’adaptation de la société au vieillissement ». Le titre est ambitieux, mais les mesures et le financement sont très loin de pouvoir répondre aux besoins.Ce projet prétend favoriser le maintien des personnes dépendantes à domicile avec le relèvement des plafonds pour bénéficier de l’Allocation personnalisée d’autonomie (APA), le reste à charge restera très lourd pour le bénéficiaire et sa famille. Il prévoit l’adaptation de 80 000 logements au vieillissement... ce qui représente 0,04 % des logements occupés par des personnes âgées Les aidants, familiaux ou non, auront « droit au répit », par une aide pouvant s’élever jusqu’à 500 euros afin de les décharger ponctuellement des tâches qu’ils accomplissement auprès des personnes en perte d’autonomie.

Taux moyens des restes à charge pour les personnes vivant en EHPAD :EHPAD public : 1 600 euros (un peu plus pour les établissements privés à but non lucratif)EHPAD privé : 2 400 eurosMontants moyens des pensions de retraite : Femmes : 900 eurosHommes : 1200 euros

Qui paye ?Le volet concernant la prise en charge des personnes âgées dans les établissements est repoussé à plus tard, alors que 80 % des résidents en EHPAD doivent faire appel à leur famille pour financer leur prise en charge. Ces mesures devaient être financées par les retraités imposables. La Contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie (CASA) est prélevée depuis le 1er avril 2014 (0,3 % du montant des pensions) pour un montant total de 645 millions d’euros en année pleine ! Mais contrairement à ce qui avait été annoncé aux députés, les recettes ne sont pas versées à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNASA) mais au fond de solidarité vieillesse. Un projet pas soumis au conseil des ministres, son budget détourné... Il n’est pas certain que les avancées, tout aussi minimes soient-elles, voient le jour. Lamentable ! Vite, une opposition de gauche à ce gouvernement ! Un marché qui ne connaît pas la crise

1,6 million de personnes ont signé une garantie dépendance à titre principal auprès d’un assureur privé. Si l’on englobe les garanties dépendance comprises dans un autre contrat d’assurance (assurance santé, retraite ou un produit d’épargne comme l’assurance vie), elles sont 4 millions à cotiser à une assurance dépendance.

Question d’assurance...

Les assureurs mènent des campagnes publicitaires pour gagner des parts supplémentaires de marché et pratiquent un important lobbying pour se substituer à la sécurité sociale. Henri de Castries, le PDG d’Axa, explique que « l’assurance est la véritable solution solidaire efficace (…), le coût peut être réduit si la souscription du contrat est suffisamment précoce » tandis que « la création d’une nouvelle branche de la sécurité sociale ne semble pas la meilleure solution car cela risque d’être plus coûteux et moins efficace. » La loi sur « l’adaptation de la société au vieillissement » aurait une portée restreinte, mais c’est encore trop pour les assureurs qui craignent que « ce projet de loi en appliquant des conditions très restrictives, ne limite les velléités des assureurs à se positionner sur ce marché » (dixit le directeur du marché santé, prévoyance et dépendance individuelle d’AXA France).

Le business des maisons de retraiteLe marché des maisons de retraite, médicalisées ou non, est en pleine extension et se concentre de plus en plus entre les mains de grands groupes cotés en bourse. Un exemple : avec la fusion-­absorption du groupe Medica par Korian, la nouvelle entité créée regroupera près de 600 établissements et plus de 57 000 lits ; elle emploiera 40 000 salariéEs, avec un chiffre d’affaires total de 2,2 milliards d’euros. Les deux opérateurs de maisons de retraite ambitionnent d’atteindre via leur fusion un chiffre d’affaires de trois milliards d’euros en 2017. Ce secteur bénéficie du manque de place dans les structures publiques et connaît des taux de croissance d’activité et de rentabilité entre 7 et 22 % pour l’année 2012, tandis que le secteur public et associatif qui concerne encore les trois quart des établissements manque de moyens : 117 000 lits sont ainsi en attente de rénovation faute de budget. L’offre privée se développe aussi  pour les services à la personne, les aides à domicile, avec souvent des conditions indignes de précarité et de bas salaires pour les employés.

Quand le Medef parle d’autonomie... Le document du Medef ci-contre est parlant. Dans la logique des attaques contre la sécurité sociale, la perte d’autonomie, comme la santé et la retraite, ne peut être considérée que sous l’angle de marché à conquérir. La solidarité doit être confinée. La moindre avancée sociale est ainsi à rejeter. Observations du Medef sur le document de concertation « autonomie » – janvier 2014 (extraits) : «  Le Medef appelle à une réforme pragmatique : elle ne doit pas se traduire par une hausse des prélèvements obligatoires et un alourdissement du coût du travail, (…) il n’est pas envisageable que le financement du risque de perte d’autonomie, éloigné des entreprises, repose de façon directe ou indirecte sur les employeurs. La refonte du secteur des services à la personne constitue un enjeu majeur pour répondre aux nouveaux besoins en termes d’accompagnement. Cela suppose de passer d’une économie largement administrée à un marché ouvert favorisant, par l’émulation des acteurs, le développement d’une offre de services diversifiée, professionnalisée au meilleur coût pour la collectivité. Il faut encourager le développement de la couverture assurantielle privée. L’assurance dépendance peut apporter, en complément de la solidarité nationale, une réponse adaptée à la couverture du risque de perte d’autonomie. Les aidants familiaux jouent un rôle essentiel et devront continuer à avoir une place importante (…) sans toutefois aller jusqu’à la création d’un statut des aidants ou à l’instauration de nouveaux droits qui ne seraient ni souhaitables ni opportuns ; C’est le sens même de la famille, première cellule de la société (...) De nouvelles contraintes seraient source de complexité et de coûts supplémentaires pour les entreprises (obligations de négocier, droit à congés…) : le Medef y est fermement opposé. Cela serait contraire aux orientations annoncées dans le Pacte de responsabilité ». « La vieillesse devrait être considérée comme une richesse et non comme un coût »

Entretien. Sandrine est aide-soignante dans un EHPAD. Avec elle, nous revenons sur les conditions de travail difficiles des personnels et le traitement insatisfaisant des personnes âgées, par manque de temps et de moyens.

Les revendications du personnel dans les maisons de retraite médicalisées, les EHPAD, concernent surtout les conditions de travail et les salaires. Peux-tu nous dire ce que tu devrais normalement faire ?Mon métier d’aide-soignante consiste à préserver l’autonomie des personnes âgées en les accompagnant dans les gestes quotidiens de la vie. Par exemple, lors de la toilette, nous devrions accompagner la personne, à son rythme, lui laisser faire seule au maximum de ses possibilités, la guider dans tous ses gestes en lui indiquant ce que nous lui faisons. Nous devrions prendre le temps de l’écouter afin de répondre le mieux possible à ses besoins. Mais bien souvent, nous sommes obligés de faire à leur place, ce qui accélère leur dépendance, et nous allons à l’essentiel, sans pouvoir répondre à leurs besoins et angoisses. Les raisons sont le manque de moyens humains et financiers.

L’autre aspect des conditions de travail, c’est la manière dont le personnel lui-même est traité. Peux-tu revenir sur ta situation et celle de tes collègues en matière de salaire, de formation, de remise en cause des conventions collectives ? Je travaille dans un EHPAD de la fonction publique hospitalière, donc nous ne sommes pas régis par les conventions collectives. Dans la fonction publique comme le privé, tout est fait pour casser les acquis sociaux obtenus par la lutte : suppression des RTT, de moins en moins d’emplois statutaires ou en CDI, de plus en plus d’embauches précaires non formées, sous payées, corvéables à merci, sans planning fixe. Le but principal de nos directions, c’est de faire des économies... tout en faisant croire qu’il est possible d’améliorer le service rendu aux résidents. Il est demandé aux agents de faire de plus en plus de tâches en étant moins nombreux, tout le déroulement d’une journée est planifiée à la minute près, sans tenir compte des éventuels imprévus – et il y en a – ce qui entraîne une diminution des pauses, voire leur suppression, et une dégradation de nos conditions de travail. Vu l’intensité de notre travail, tant au niveau physique que psychologique, le travail un week-end sur deux, nos salaires sont insuffisants. Ils sont composés en grande partie de primes, qui de plus ne comptent que partiellement pour le calcul de la retraite. La formation existe mais elle est ciblée sur les domaines de la bientraitance et de la douleur. Elle est intéressante mais difficilement applicable dans la réalité du travail, ce qui entraîne une souffrance de plus.

Quelles sont tes réflexions sur la manière dont on considère les personnes âgées, celles qui font partie du « grand âge » dans notre société ? Dans cette société capitaliste, les personnes âgées, comme les chômeurs, sont considérées comme non rentables, et sont délaissées, voire abandonnées. Aucune politique digne de ce nom n’a été mise en place. La vieillesse devrait être considérée comme une richesse et non comme un coût. Ce que défend le NPANous ne voulons pas d’un monde où il y aurait des hommes et des femmes de trop, qui seraient « une charge pour la société ». Notre choix est de ne laisser personne sur le bord de la route et de créer les conditions effectives du « vivre ensemble »... ➽ La notion de dépendance ne doit pas se fonder et s’institutionnaliser par une prise en charge uniformisée de la vieillesse, avec des statistiques qui amène une standardisation plus ou moins affinée. Elle doit prendre en compte la singularité de chaque personne âgée. ➽ Des mesures spécifiques doivent être prises pour résoudre l’isolement, prévenir la perte de mémoire, de locomotion. L’aide au maintien à domicile doit recevoir bien plus de moyens. L’espace urbain doit être aménagé, et les logements, adaptés, financièrement accessibles à tous et toutes. Les transports publics de qualité doivent être gratuits. ➽ La prévention doit être une priorité. Il faut agir sur tous les facteurs de dégradation de l’état de santé : lutter pour l’amélioration des conditions de travail, et réduire le temps de travail, améliorer les conditions de vie (habitat, environnement, nourriture…). Cela nécessite aussi la prise en charge à 100 % de tous les soins par la sécurité sociale, le développement d’un service public de santé gratuit, l’arrêt des fermetures et restructurations des hôpitaux ➽ Il faut un service public de qualité, au domicile ou en institution, pour la compensation de la perte d’autonomie dans le cadre de la sécurité sociale. Il doit être financé à 100 % par les cotisations sociales, et géré par la sécu démocratisée. On pourrait ainsi développer les aides à la « dépendance » pour toutes les personnes qui en ont besoin, quel que soit leur âge. ➽ Le personnel, sous statut de la fonction publique hospi­talière, en nombre suffisant, doit être formé aux problématiques des personnes à l’autonomie limitée, bénéficier de conditions de travail décentes et de meilleurs salaires (minimum 1 600  euros net). ➽ Ce service public de sécurité sociale doit prendre en charge et développer les services à la personne, contre l’isolement, pour des logements et des transports adaptés aux handicaps, pour les soins à domicile…➽ Les maisons de retraite médicalisées doivent être intégrées dans ce service public de santé accessible à tous et toutes (seule 1 personne sur 5 aujourd’hui est capable d’assumer les frais d’accueil en maison de retraite sans mettre à contribution ses proches). Les groupes privés à but lucratif doivent être expropriés : pas d’« or gris » pour les actionnaires sur le dos des personnes âgées ! ➽ « Chacun cotise selon ses moyens et reçoit selon ses besoins... » Ce principe fondamental de la sécu doit s’appliquer pleinement. L’objectif a été fixé dans la Charte de l’OMS de 1946 : « rajouter de la vie aux années et pas seulement des années de vie ». Nous voulons une société solidaire et pour tous les âges. Pour cela, nous devons reconquérir et développer une sécurité sociale autogérée et unifiée, versant des prestations à la hauteur des besoins et prenant en charge le service public de compensation de la dépendance, au domicile et dans des institutions adaptées. Un choix fondamental de société.