Denis Baupin pour EELV, Benjamin Amar pour la CGT et le PCF, Taha Bouhafs pour LFI puis Eric Coquerel… les « affaires » de violences sexistes et sexuelles au sein des organisations se réclamant de la lutte pour l’émancipation des femmes se succèdent dans la suite du mouvement #MeToo.
Le NPA aussi doit faire face à de telles affaires. Elles répondent comme un écho à celles qui entachent le gouvernement, de Darmanin à Abad.
Pourtant, de la gauche jusqu’au gouvernement, si les faits peuvent être semblables, les réponses ne sont pas les mêmes et surtout ne nous interpellent pas de la même façon en tant que militantEs féministes.
Si la prise en charge de ces violences a fait de notables progrès en 10 ans, il nous reste encore beaucoup à élaborer pour y faire face de manière satisfaisante et avancer vers leur éradication.
Nos organisations féministes doivent aussi faire face aux violences sexistes et sexuelles
Il y a quelque chose de sidérant à être confronté à des violences sexistes et sexuelles parfois très graves au sein même de nos organisations alors que nous sommes partie prenante des luttes féministes. À certains moments, on a même pu avoir l’impression qu’il y en avait plus là qu’ailleurs, proportionnellement au nombre de militantEs.
Nos organisations qu’elles soient syndicales, politiques ou associatives ne sont pas en dehors de la société et elles sont donc traversées par les oppressions qui existent partout : racisme, sexisme, LGBTIphobie, grossophobie, validisme… Même les militantEs les plus forméEs ne peuvent se débarrasser totalement de leur éducation, de leur socialisation. Ces oppressions peuvent se combiner avec des formes de domination liées au pouvoir dans nos structures, au paternalisme qui y règne parfois.
La dégradation des rapports de forces à l’extérieur pèse également : lorsque les droits des femmes reculent, que l’ordre moral se renforce, que les tensions sociales s’exacerbent, les débats internes se tendent, les logiques de fractions de renforcent… cela diffuse dans les organisations, impacte les relations militantes et au final conduit à faire reculer les positions des femmes en interne.
Théoriquement, on pourrait penser que nos organisations sont moins touchées par les violences sexistes internes et c’est probablement vrai grâce à la formation des militantEs et au rapport de forces exercé par les femmes. Cependant, un nombre proportionnellement important de faits sont traités et ont nécessité, partout, la mise en place d’instances spécifiques pour leur prise en charge : l’effet secondaire positif de la formation et du rapport de force est de permettre une libération de la parole plus importante ici qu’ailleurs. L’illégitimité de ces violences et la possibilité d’être soutenues par des collectifs militants donne davantage de force et de confiance aux victimes pour dénoncer les violences malgré les difficultés qui existent, on y reviendra.
De ce point de vue, la non-mixité est un outil essentiel : à chaque formation sur ce thème en non-mixité, il est quasiment systématique que soient partagés pour la première fois des cas de violences, parfois datant de plusieurs dizaines d’années… Le nombre de cas remontés au sein de nos organisations ne doit donc pas nous décourager mais au contraire être pris comme un signe positif de notre capacité à les prendre en charge.
Il s’agit de prendre en compte aussi bien le sexisme « ordinaire » et quotidien (blagues, remarques, etc.) que les faits les plus graves (agressions, viols…). Le continuum qui existe de l’un à l’autre légitime l’ensemble et est un élément essentiel du maintien de l’ordre patriarcal. Personne ne peut se targuer de n’avoir jamais eu une parole déplacée, une remarque empreinte de préjugés.
Les premières victimes sont faciles à identifier : les femmes jeunes, et encore plus si elles cumulent les oppressions.
Pour ce qui est des agresseurs, les positions de pouvoir jouent évidemment un rôle. Il y a sans doute une différenciation à faire entre les organisations qui ont des positions de pouvoir institutionnelles (députés, maires, élus de manière générale) et celles qui n’en ont pas. Il serait intéressant de disposer de données statistiques qui n’existent pas aujourd’hui. Dans tous les cas, il y a une déformation liée à la focalisation médiatique dont il faut tenir compte : pour une affaire médiatisée de type Baupin/Coquerel/Bouhafs, combien d’affaires traitées plus discrètement mais pas forcément mieux ?
Enfin, il semblerait qu’émergent davantage de cas de violence contre des militantEs LGBTI. Il est probable que les luttes récentes ont permis une certaine libération de la parole et une meilleure visibilisation. Ces cas sortent de fait des schémas « classiques » de violences d’un homme sur une femme et nécessitent d’adapter notre analyse pour intégrer d’autres dimensions d’oppression.
Il est urgent de prendre en charge ces violences en interne des organisations
Il s’agit de discuter de la prise en charge politique des violences sexistes et sexuelles qui ont lieu au sein de nos organisations féministes. On reviendra plus loin sur les difficultés de l’accompagnement des victimes elles-mêmes.
Notre objectif est d’éradiquer les violences sexistes et sexuelles. Sur le long terme, la formation, l’éducation sont les éléments primordiaux. Mais en l’état actuel, nous devons faire face à des violences qui sont le fait de militants et/ou qui concernent des victimes appartenant à nos organisations. Prendre correctement en charge ces violences est essentiel pour construire la confiance des femmes dans le fait que leur organisation les soutiendra mais aussi pour qu’elles y trouvent leur place à tous les niveaux.
Il ne s’agit pas de faire justice comme le ferait un tribunal. D’une part, parce que la justice à laquelle nous sommes confrontéEs est bourgeoise et patriarcale et que nous ne sommes pas satisfaitEs de son fonctionnement (son amélioration peut d’ailleurs faire l’objet de revendications du mouvement féministe). Nous avons donc l’ambition de faire mieux qu’elle pour reconnaître et lutter contre les violences sexistes et sexuelles, en tous les cas, au sein de nos organisations. Par exemple, concernant les viols, la définition juridique a évolué récemment pour intégrer des éléments progressistes mais nous assumons une définition globalement plus large et fondée sur l’absence de consentement explicite. D’autre part, les victimes n’attendent pas la même chose de nos organisations que de la justice. La reconnaissance de leur parole est essentielle, leur permettre de continuer à fréquenter les espaces de militantisme sans être confrontéEs à leur agresseur aussi. Et enfin, assurer que nos organisations sont des lieux qui tentent d’être le plus safe possible est une condition indispensable à l’engagement de touTEs les oppriméEs. Les procédures mises en œuvre et les mesures prises contre les agresseurs se placent dans cette perspective globale.
Le NPA a bénéficié de l’expérience apportée par la LCR et des discussions qui ont lieu depuis des dizaines d’années à ce sujet dans le cadre de la IVe internationale. Il y a eu des évolutions significatives et #metoo a permis d’affermir la légitimité de ce qui y était mis en place et a participé à l’amélioration du rapport de forces en faveur des femmes.
Dans la LCR, il existait des procédures assez claires d’exclusion en grande partie pensées pour faire face à des problèmes de désaccords politiques. Elles avaient donc leur faiblesse en termes de prise en compte de la dimension féministe mais étaient opérationnelles en termes de sanction. En particulier, si la cellule de base ne se conformait pas aux prescriptions de la commission de contrôle (notamment exclusion de l’un de ses membres), elle était dissoute et les militantEs devaient demander leur réadhésion individuellement ce qui laissait à l’organisation le choix de qui elle réintégrait.
Dans la IVe internationale, diverses sections ont été confrontées à des violences sexistes notamment de la part de dirigeants politiques. Au Japon, cela a pu conduire jusqu’à la reconnaissance d’une section composée uniquement de femmes. Depuis le début des années 2000, la volonté de penser collectivement la gestion des violences sexistes et sexuelles a abouti à mettre à l’ordre du jour cette question assez systématiquement dans le cadre de formations internationales et à l’échelle nationale, généralement en non-mixité, au moins dans un premier temps.
Dans le NPA, à l’heure actuelle, lorsqu’un cas de violence sexiste et sexuelle est signalé à la commission de médiation, l’agresseur désigné est immédiatement suspendu de l’ensemble de ses droits militants (pas de participation aux réunions de quelque niveau qu’elles soient, pas de présence dans les cortèges de manifestation, etc.) sans autre base que la déclaration de la victime. Puisqu’il n’y a, à ce stade, aucun élément d’enquête, cette mesure ne présage aucunement du résultat final ; elle est conçue comme une mesure de protection, a priori, de la victime. Ensuite, la procédure peut se dérouler (rencontre des personnes concernéEs, recueil d’éléments divers…) et a pour objectif de permettre de comprendre l’ensemble des circonstances qui ont conduit à ce signalement. Si les accusations sont confirmées, la commission de médiation fera des préconisations en termes de sanction qui doivent être mises en œuvre par le comité de base. Des recours sont possibles devant la direction nationale ou le congrès. S’il se trouvait que les accusations étaient mensongères (ce qui n’est jamais arrivé jusqu’à présent), le militant incriminé serait réintégré dans l’ensemble de ses droits sur la base de l’avis écrit de la commission de médiation.
La mise en place de la suspension automatique a été une bataille menée en particulier par les militantes de la direction femmes de l’organisation. Elle a divisé les militantEs au moment du vote au congrès et une partie significative de la direction politique et notamment de la commission de médiation s’y est opposée. Derrière ce clivage, c’est le débat sur le rôle des instances de régulation, sur la question de la prise en compte de la parole des femmes, sur le positionnement par rapport à la justice qui se joue.
Depuis un an, à l’initiative de la CGT, se réunit une inter-organisation sur la question de la prise en charge des violences sexistes et sexuelles en interne. Son spectre est très large : CFE-CGC, Solidaires, FSU, CGT, CFDT, Confédération Paysanne, UNEF pour les organisations syndicales ; PS, EELV, PCF, LFI, PG, UCL, Ensemble ! et NPA, pour les organisations politiques. En général, ce sont des femmes qui y participent mais elle n’est pas non mixte. L’échange qui s’y déroule se fait de façon très transparente, c’est-à-dire que personne ne cherche à cacher les problèmes auxquels les unes et les autres sont confrontées ni en termes de nature des violences, ni dans le rapport de force en interne. Bien sûr, il y a de grandes différences de maturité des structures de prise en charge de ces questions selon les organisations puisque certaines ne le font de manière spécifique que depuis très récemment. L’intégration dans les institutions de l’État change notablement les problématiques puisque cela renforce les positions de pouvoir et donc de domination. La visibilité médiatique joue également un rôle.
Dans la suite de la tribune1 parue à l’occasion du 25 novembre 2022, plusieurs éléments sont ressortis de ces réunions :
• la nécessité de la formation des militantEs et les liens nécessaires avec les associations spécialisées sur ce sujet,
• la prise en charge de l’itinérance des agresseurs afin d’éviter l’impunité lorsqu’ils circulent d’une organisation à l’autre ou qu’ils se trouvent dans des cadres unitaires,
• la volonté de constituer un réseau de ressources partagées pour accompagner les victimes de violences partout sur le territoire (avocatEs, médecins, psychologues, associations…).
Ces éléments participent d’une solidarité féministe qui se (re)construit en parallèle du renouveau des mobilisations dans ce domaine.
Pour continuer à avancer
Si les progrès sont notables sur les vingt dernières années, de nombreux problèmes se posent encore à nous. Certains sont insolubles tant que nous n’aurons pas changé cette société et d’autres peuvent donner lieu à des améliorations nécessaires.
L’injonction à porter plainte reste très forte malgré la difficulté du parcours policier et judiciaire et la faible probabilité d’obtenir « justice ». Les « pour » et les « contre » sont à soupeser dans chaque cas individuel : nous ne pouvons donc faire de recommandation systématique et le fait de porter plainte ne peut être, à aucun moment, considéré comme un préalable.
Le fait de porter plainte peut être une étape importante voire nécessaire pour se reconstruire après avoir subi des violences. Si la plainte est prise en compte, voire que l’agresseur est condamné, cela peut parfois permettre de protéger la ou les victimes et d’en éviter d’autres. Une fois cela dit, on ne peut faire l’impasse sur la nature de classe et profondément patriarcale de la police et de la justice. Toutes les victimes décrivent des parcours éprouvants jusqu’à l’insoutenable : remise en cause de leur parole, mépris, ignorances des conséquences physiques et psychologiques, déni des faits, condamnations faibles au regard des faits, relaxe pour prescription, manque de preuves, etc. jusqu’aux procédures contre les femmes pour diffamation comme dans le cas de l’affaire Baupin.
Nous ne pouvons pas non plus faire l’impasse sur la nature des peines encourues par les agresseurs. L’absence de structures de soins pour ceux qui en ont besoin est évidemment problématique mais c’est surtout de notre position par rapport à l’enfermement notamment carcéral que nous devons tenir compte. Les peines sont d’autant plus lourdes que les agresseurs appartiennent aux catégories exploitées et opprimées de la société, les conditions d’enfermement sont inqualifiables, les conséquences des peines d’emprisonnement sont dramatiques socialement, etc. Nous ne considérons pas la prison comme une solution et par conséquent elle ne peut pas faire partie de nos revendications en termes de lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Ce positionnement est très minoritaire dans la société et demande un travail d’explication important.
Dans un contexte où la reconnaissance de la parole des victimes et la prise en charge des violences restent difficile à tous les échelons, les réflexes de solidarité sororale se manifestent fortement. C’est extrêmement positif quand cela débouche sur une action collective à visée générale. C’est par exemple le cas des collages féministes qui ont permis de passer un cap en termes de visibilité des féminicides et sont une composante du mouvement féministe actuel. L’éclatement d’un certain nombre de groupes locaux en marque cependant la limite en termes d’homogénéité politique et donc de capacité d’action.
Le fait de nommer publiquement des agresseurs apparaît comme un dernier recours lorsque les instances collectives des organisations ou la justice ont été défaillantes. Il peut être nécessaire, en particulier, si on a besoin de prévenir d’autres victimes potentielles et qu’il est donc envisagé comme une mesure de protection collective. Son usage peut et doit cependant être envisagé sous le contrôle d’un collectif disposant d’un recul relatif par rapport aux faits. L’élaboration et la gestion collectives sont des garde-fous essentiels pour se prémunir contre les dérives vers la vengeance et la punition individuelles.
Nous devons continuer à nous améliorer dans la prise en charge des violences sexistes et sexuelles à l’intérieur de nos organisations. Mais il n’est pas simple d’avoir des militantEs forméEs et disponibles pour recueillir correctement la parole des victimes. Les questions de procédures (confidentialité, délais, recours, ressources…) doivent être discutées de façon pointilleuse, avec les victimes pour correspondre au mieux à leurs besoins, et confrontées à la réalité de leur mise en application.
L’élaboration d’une échelle des sanctions est absolument nécessaire sous peine de rendre contre-productives les procédures. En effet, des sanctions disproportionnées ont pour effet de solidariser, en partie à juste titre, autour des agresseurs. Éviction temporaire ou définitive des organisations, des instances, des mandats de représentation, rappel à l’ordre, obligation de formation, etc. doivent pouvoir être mises en place.
Enfin, puisque nous ne pensons pas que les individus soient coupables définitivement, il nous faut envisager des procédures de réintégration efficientes. Cela peut paraître compliqué dans les cas très graves de viols ou de violences physiques et cependant nous y avons déjà été confrontéEs. Il faut donc penser les critères qui permettent de s’assurer qu’un agresseur a compris que ses agissements étaient inacceptables et que sa réintégration peut se faire en assurant la sécurité de touTEs les autres membres de l’organisation. La possibilité de la réintégration doit tenir compte de l’avis de la victime même si elle n’est pas le seul élément à prendre en compte ni dans un sens, ni dans un autre : l’organisation pourrait estimer que l’agresseur peut être réintégré sans danger mais que cela reste insupportable pour la victime et à l’inverse une victime pourrait estimer acceptable la réintégration de son agresseur mais l’organisation considérer que la sécurité de ses militantEs n’est pas assurée. Il faut donc qu’une instance puisse délibérer.
En parallèle de ces questions générales, la prise en charge de la victime elle-même est souvent un aspect compliqué des affaires de violences. Elle nécessite une formation que les militantEs n’ont pas sauf exception professionnelle ; elle demande des moyens financiers pour payer avocatEs, médecins, psychologues, etc. qui sont éventuellement nécessaires. Or, ces moyens, les victimes ne les ont généralement pas et ils ne sont pas non plus à la portée de l’ensemble des organisations. Pour y remédier, le réseau des associations spécialisées est essentiel et donc la bataille pour leur financement fait partie de nos revendications de base.
Pour conclure provisoirement
Parce que les violences sexistes et sexuelles sont intimement liées au maintien de l’ordre existant capitaliste et patriarcal, parce que nos organisations ne sont pas extérieures à la société dans laquelle nous vivons, le combat contre ces violences se joue à tous les niveaux, dans toutes les sphères de la société. En ce sens, nous ne pourrons avancer à l’intérieur de nos organisations sans que cela bouge dans l’ensemble de la société. Il nous faut donc à la fois discuter, élaborer, œuvrer en interne et mener des batailles touTEs ensemble en construisant le mouvement féministe. La solidarité qui lie les oppriméEs et les exploitéEs n’est pas naturelle, elle se construit dans la pratique de nos mobilisations, dans la discussion à la base, entre et dans les structures militant.es associatives, syndicales et politiques.
En tant que révolutionnaires, nous avons notre contribution propre à apporter en termes d’analyse combinant anticapitalisme et anti-patriarcat, positionnement par rapport aux institutions (police, justice, mais aussi armée ou école…). Ce combat est parfois dur, voire épuisant, mais, d’une part, il s’impose inéluctablement à nous et, d’autre part, il conditionne notre capacité à changer la société pour construire un monde débarrassé de l’exploitation et de toutes les oppressions. Alors soyons fortEs, fièrEs, féministes, radicales et révolutionnaires !