Publié le Jeudi 27 juillet 2023 à 08h00.

La jeunesse contre la loi Debré

La loi de 1970 réduit le service militaire de 16 à 12 mois et supprime à partir de 1973 les sursis des étudiants dans un contexte où les motifs de mobilisations (« racisme anti-jeunes », répression policière et administrative, tentatives de retour de « l’ordre moral ») ne manquent pas alors que domine une tonalité anti-autoritaire dans la jeunesse.

C’est au cours de la campagne législative de mars 1973 — les lycéenEs et une partie des étudiantEs de moins de 21 ans n’ont pas le droit de vote — que démarre la mobilisation. 

La grève des IUT et l’exemple belge

Début février des élèves d’IUT1 reçoivent des convocations à l’armée ; la revendication du rétablissement des sursis est rajoutée aux plateformes revendicatives à Marseille, Orléans et Cachan où un appel est adopté le 9 février. Le lendemain, la 2e rencontre des Cercles rouges lycéens2 soutient l’appel, propose la mise en place de CCLD (comités contre la loi Debré) unitaires et deux journées d’action les 26 et 27 février. Au cours des vacances de février, une délégation part à Bruxelles pour étudier « l’exemple belge » où une mobilisation sans précédent des élèves a réussi à faire abroger la loi sœur de la loi Debré, le projet VDB (Vanden Boeynants). Un Front national lycéen — équivalent de nos coordinations — y a mené la lutte, et siègent ensemble trotskistes, anarchistes, sans parti et Jeunesses communistes. C’était jusque-là inimaginable en France. 

Un mouvement de toute la jeunesse scolarisée

Le mouvement est d’abord hétérogène. Fin février, manifestations et grèves sont importantes en région, alors qu’en Île-de-France, on a une mobilisation plus restreinte, avec de gros comités menant une activité d’argumentation. Après le 2e tour des législatives, la vague enfle et déferle comme si tout le monde savait qu’il ne reste que la lutte pour faire reculer le pouvoir. Le 14 mars, 4 lycées parisiens sont en grève, 10 le lendemain, 20 le surlendemain. Le 20, la grève est généralisée, elle s’étend aux élèves du technique ainsi qu’aux étudiantEs avec une revendication propre, la réforme du premier cycle universitaire (le DEUG). Pendant trois semaines, les trois quarts des établissements du secondaire et du supérieur cessent les cours. Le 22 mars, les 2 et 9 avril, des centaines de milliers de jeunes occupent les rues dans 250 villes.

Coordinations

Le mouvement reprend et généralise le répertoire du mouvement lycéen de 1971 de coordination des comités de grève. Le 14 mars se tient la première coordination nationale des comités contre la loi Debré, avec des déléguéEs de 150 établissements de tout le pays. Elle adopte le mot d’ordre de « rétablissement et d’extension de sursis » pour ne pas en rester à un « privilège » lycéen-étudiant3, un bureau de cinq personnes est chargé de préparer les manifestations du 22 mars (interdite à Paris, elle se tient tout de même). À la coordination du 24, l’amphi est trop petit pour accueillir le millier de déléguéEs de plus de 500 lycées. Se tiennent ensuite des coordinations locales par ville ou arrondissement, élisant à leur tour des déléguéEs aux coordinations des 1er, 6 et 27 avril. Avec l’entrée en lutte des étudiantEs, se met en place une coordination nationale étudiante. Sur l’initiative de Lutte ouvrière, qui saisit la spécificité de l’enseignement technique, une coordination se met en place pour les collèges et lycées d’enseignement technique. S’il y a des réunions des trois coordinations, Lutte ouvrière sépare les CET (futurs ouvriers) des « petits bourgeois » lycéens et étudiants, et avance comme mot d’ordre « à bas l’armée » au lieu « d’extension des sursis ». Dans les cortèges du technique, on dénonce le « CET usine », la brutalité des relations et le racisme. Le technique préfigure ce à quoi vont ressembler les mouvements lycéens après les années 1980.

Tenir : commissions, grève active et « contre-cours »

Dans une grève longue, il faut tenir, surtout quand le bac se profile. Outre les commissions information, service d’ordre, ravitaillement, musique, d’abord de manière pragmatique, des étudiants de prépa du lycée, ou extérieurs, viennent à la rescousse. Très vite, ces « rattrapages » deviennent dans certains établissements des cours parallèles, ou « contre-cours », abordant des thèmes inexistants dans les programmes (contraception, embrigadement, histoire de la commune…). Cette sorte d’autogestion pédagogique provoque des réactions d’hostilité de certains enseignants, même ceux qui soutiennent les revendications sur les sursis.

L’unité avec le mouvement syndical

Le soutien des confédérations est diversifié, d’autant que ce sont les trois coordinations dominées par l’extrême gauche qui représentent le mouvement, alors que les syndicats lycéens et étudiants animés par le PCF s’y sont intégrés avec retard. La force de la grève entraîne cependant le soutien CFDT, CGT, FEN, mais la co-organisation de la manifestation du 9 avril ne va pas de soi, et cette unité ne se prolonge pas le 1er Mai, une fois la grève finie.

Fin et postérités

Le mouvement de grève s’achève aux vacances de Pâques au lendemain du 9 avril, et les coordinations de la rentrée sont les dernières. La loi Debré n’est pas abrogée, quelques aménagements ont été apportés administrativement, le Parlement en débat mais ne vote pas. L’extrême gauche recrute, mais sa force dominante, la Ligue communiste, n’offre pas de perspectives générales à tous ces jeunes qui voudraient continuer l’action sans forcément adhérer à un parti. Il faut attendre encore trois ans pour que la Ligue reconnaisse la nécessité d’un syndicalisme pour les jeunes scolariséEs. 

En revanche, ce mouvement a des effets sur la création et le développement de comités de soldats où l’on comptera beaucoup d’anciens de 1973. Et le répertoire d’action — démocratie et auto-organisation — sera réinvesti au fur et à mesure de son insertion dans les entreprises et les syndicats par cette génération ; c’est visible dès 1974, avec la grève des banques puis à la poste.

Robi Morder

  • 1. Traditionnellement, le mois de février est marqué par des grèves et manifestations pour faire reconnaître les diplômes, le DUT, dans les conventions collectives.
  • 2. MilitantEs et sympathisantEs de la Ligue communiste.
  • 3. L’AJS lambertiste (Alliance des jeunes pour le socialisme) est partisane du seul « maintien des acquis ».