Luffy, héros du manga One Piece et symbole des luttes de la génération Z, a changé de couvre-chef. Du chapeau de paille orné d’un ruban rouge, il est désormais en raphia multicolore, la coiffe du sud de Madagascar, et accompagne sur les pancartes les manifestations de la jeunesse.
Le 24 septembre, lors de l’assemblée générale des Nations unies, Andry Rajoelina, le président de la Grande Île, déclarait : « il n’y a pas de développement sans une énergie fiable, accessible et abordable », et poursuivait : « En seulement six ans, le taux d’accès à l’électricité dans mon pays est passé de 24 % à 40 %. » Comme une réponse à ce satisfecit indû, le lendemain, la jeunesse entamait les premières manifestations contre les coupures incessantes d’électricité et d’eau.
Miala Rajoelina ! (Rajoelina dégage)
Un problème certes récurrent mais qui s’aggrave. Ces difficultés proviennent d’un manque d’investissement et de maintenance des réseaux de la Jirama, la société qui est en charge de la distribution. Mais elles viennent aussi des détournements de fonds dont un des principaux responsables est Mamy Ravatomanga, deuxième fortune du pays et éminence grise du président.
Les manifestantEs ne s’y sont pas trompéEs. Très rapidement, les revendications ont évolué pour exiger la démission de Rajoelina, mais aussi la dissolution du Sénat, de la Haute Cour constitutionnelle et de la commission électorale, des institutions synonymes de corruption des élites.
Rajoelina a bien tenté de désamorcer la crise, mais à chaque fois trop tard et trop peu. Il a limogé le ministre de l’Énergie, puis s’est résolu à congédier son gouvernement et surtout le Premier ministre Christian Ntsay, une pièce maîtresse du dispositif politique du clan du président. Même sa prestation télévisée annonçant cette révocation a tourné au ridicule, lorsqu’il s’est adressé aux jeunes, leur enjoignant d’envoyer leur CV pour la mise en place du nouveau gouvernement.
La mobilisation s’élargit
La lutte, au fil du temps, s’étend à travers le pays, touchant les principales villes. La volonté des jeunes de la génération Z d’élargir le mouvement s’est concrétisée. Les dirigeants politiques des partis d’opposition, notamment les anciens présidents Ravalomanana et Rajaonarimampianina, ont timidement apporté leur soutien. D’eux, il n’y a rien à attendre, au vu de leur passif de pillage des ressources du pays. Les organisations de la société civile se sont fortement mobilisées contre la répression des manifestantEs pourtant pacifiques — la police laissant, par contre, les gangs piller les commerces. Une stratégie du chaos qui visait à rallier au moins une partie de la population, en vain.
Le fait nouveau est la mobilisation des travailleurEs. Quelques jours après les premières manifestations, les salariéEs de la Jirama se sont misEs en grève, rejoints par le syndicat des enseignantEs, le SEMPAMA. Enfin, Herizo Ramanambola, leader de la Solidarité syndicale malgache, a appelé à la grève générale, exigeant lui aussi la démission du président.
Rajoelina, pour occulter ses seize années de pouvoir catastrophique, dénonce désormais un complot ourdi par des « puissances étrangères ou des agences à la technologie avancée » manipulant, grâce aux algorithmes, la jeunesse. Bref, « des forces des ténèbres » qui poussent les jeunes dans la rue… À moins que cela ne soit les posts sur les réseaux sociaux des rejetons des élites malgaches, qui exhibent leur vie dorée permise par une richesse spoliée d’un pays où les trois quarts de la population vivent en deçà du seuil de pauvreté.
Paul Martial