Publié le Mercredi 18 octobre 2023 à 10h21.

(Sur)vivre à Gaza, résister à une nouvelle Nakba

Pour prendre la mesure de la situation actuelle à Gaza, dans les territoires occupés et en Israël, il faut préalablement évaluer la situation coloniale antérieure au 7 octobre, et principalement de l’enclave de Gaza.

 

Cette fine bande de 41 km de long sur 6 à 12 km abrite près de 2,3 millions d’habitantEs, dans leur grande majorité réfugiéEs de la Nakba de 1948. Le taux de chômage est supérieur à 50 % ; le taux de pauvreté est de 35 %, et plus de 50 % des habitantEs sont en insécurité alimentaire. Les infrastructures sont quasi inexistantes à la suite des nombreuses guerres, et 80 % de la population (sur)vit uniquement grâce à l’aide internationale.

À la suite des élections de 2006 remportées par le Hamas et l’affrontement qui s’en est suivi avec le Fatah et l’Autorité palestinienne, Israël impose conjointement avec l’Égypte un blocus sans précédent de la bande de Gaza. Depuis 16 ans donc, Israël impose un blocus terrestre, aérien et maritime et régule strictement l’entrée et la sortie des habitantEs et des biens de consommation. C’est dans ce contexte que Gaza assiégée a subi six guerres en 17 ans, avec 400 morts en 2006, 1 300 en 2008-2009, 160 en 2012, 2 100 en 2014, près de 300 en 2021 et plusieurs dizaines au printemps 2023.

Une expression de la colère dictée par l’occupant

Marxistes, nous savons que les conditions matérielles de l’existence sociale déterminent la conscience individuelle et produisent un ensemble de représentations collectives. C’est dans ces coordonnées qu’il faut comprendre l’offensive du Hamas du 7 octobre.

En 2018, une grande « marche du retour » (droit imprescriptible des réfugiéEs), pacifique, est organisée dans la bande de Gaza. Bilan : 235 morts dont une cinquantaine d’enfants, des secouristes, des journalistes, 10 000 blesséEs… Rappel sanglant qu’Israël ne cédera pas face à la pression populaire. Si tant de jeunes gazaouis (l’âge médian à Gaza est de 18 ans) s’engagent auprès du Hamas et de la résistance armée, c’est bien parce que l’occupant ne laisse que peu de choix dans l’expression de la rage et la colère de cette jeunesse qui n’a connu que le blocus et ses guerres. L’occupant a même tout fait pour interdire en pratique toute expression politique et favoriser le développement du Hamas. Avec Nelson Mandela, nous disons que « c’est toujours l’oppresseur qui définit la nature de la lutte, et il ne reste souvent à l’opprimé d’autre recours que d’utiliser les méthodes qui reflètent celles de ­l’oppresseur. »

La qualification israélienne et internationale de « terroristes » permet à l’occupant et ses soutiens une disqualification morale et juridique mais aussi de dépolitiser le conflit, de ne pas parler de système d’apartheid et d’occupation. Cette rhétorique qui renvoie à la guerre mondiale contre la terreur et à la guerre de civilisation de Bush en 2001… et aux conséquences dramatiques au Moyen-Orient que l’on connaît depuis vingt ans. L’ONU reconnaît aux peuples colonisés le droit de se battre par tous les moyens contre l’occupant. Et, avant d’être à la table des négociations, le FNL (Vietnam), le FLN (Algérie), Arafat, Mandela… toutes les forces anticolonialistes et anti-impérialistes étaient, elles aussi, des « terroristes ». C’est dans cette perspective historique et dans l’affirmation de la lutte légitime du peuple palestinien pour ses droits que le NPA a dénoncé les attaques du Hamas contre des civils comme des crimes de guerre.

À chaque guerre israélienne, la presse et la communauté internationale dénoncent « l’escalade de la violence » et redécouvrent un état de guerre pourtant permanent et systémique à Gaza et en Palestine occupée. Le cauchemar gazaoui explose alors à la vue de toutes et tous, l’apparente normalité coloniale vole en éclats. C’est ainsi que les appels « au retour au calme » ne peuvent être entendus de l’autre côté de la barrière de sécurité : un retour au calme colonial ? Au 19 septembre, il y avait 5 200 prisonniers palestiniens dont 170 enfants et 1 264 en détention provisoire. En 20 ans, 6 500 PalestinienEs sont morts, 150 000 dont 30 000 enfants ont été blessés. Depuis le 1er janvier 2023, plus de 200 PalestinienEs de Cisjordanie ont été tués par l’armée israélienne, plus de 100 enfants emprisonnés. Les PalestinienEs de Jérusalem-Est et du Néguev vivent chaque jour les expulsions et les déplacements de population.

Sans justice et sans reconnaissance des droits élémentaires du peuple palestinien à leur terre et leur liberté, il ne pourra y avoir de paix.

Faire face à une seconde Nakba

L’état de siège et l’invasion militaire de Gaza sera terrible. À l’heure où nous écrivons, 2 670 PalestinienEs ont été tués à Gaza dont des centaines d’enfants et 9 024 blessés. Depuis le 7 octobre déjà, Israël a stoppé les ­ravitaillements en eau, nourriture, gaz et électricité. En 6 jours, l’armée israélienne a largué 6 000 bombes sur Gaza (à titre de comparaison, les USA en larguaient 7 423 sur l’Afghanistan en un an en 2019). En donnant l’ordre à plus de 1 million de Gazaouis de quitter le nord de la bande de Gaza avant un déluge de feu, Netanyahou signe là un prochain crime de guerre d’ampleur. C’est une nouvelle Nakba qui se dessine ces prochains jours à Gaza.

Nous pouvons discuter longtemps tous les désaccords stratégiques, idéologiques et pratiques que nous avons avec tel ou tel mouvement, telle ou telle expression de la résistance palestinienne. Mais avant tout, nous devons exprimer sans faille notre solidarité avec le peuple palestinien, condamner le soutien de Macron à la politique de l’extrême droite israélienne et l’aide financière de l’UE et des entreprises à la colonisation, construire un mouvement international puissant de solidarité à travers, notamment la campagne BDS. Et aucune interdiction de manifester ne nous en empêchera.