Entretien. Depuis l’utilisation de l’article 49.3 par le gouvernement, les jeunes et en particulier les lycéenEs se sont beaucoup mobilisés. Alice, militante au NPA à Montpellier, a recréé avec un collègue une branche de la FIDL, un syndicat lycéen. Elle parle du mouvement.
Saurais-tu expliquer ce qui fait sortir les jeunes dans la rue, ce qui les met en colère ?
Il y a une conscience qui grandit sur le fait qu’il y a des choses qui ne sont pas normales. Les nombreuses mobilisations ont pu ouvrir à la prise d’information de beaucoup de jeunes qui ne s’intéressaient pas à la politique. Ils se sont rendu compte que si on ne réagissait pas maintenant, peut-être que plus tard on ne pourrait pas réagir. On ne se sent plus du tout écoutéEs et on essaie de trouver d’autres moyens d’actions pour l’être. Beaucoup d’amiEs, beaucoup de personnes autour de moi parlent de leurs parents ou grands-parents qui sont blesséEs à force de travail. C’est un mouvement qui est solidaire. On se mobilise aussi parce qu’on n’a pas envie de finir comme ça.
Et quand tu dis on n’est pas écoutéEs, tu penses au 49.3…
Avant j’ai l’impression que ces choses me parlaient beaucoup moins, parce qu’on ne comprenait pas tout ce qui se disait. Avant la réforme des retraites, je n’avais aucune idée de ce qu’étaient des annuités par exemple. Si on ne s’intéresse pas vraiment aux politiques menées, on ne sait pas leur ampleur et leur gravité. Le 49.3, c’est quelque chose de beaucoup moins dissimulé par le gouvernement. C’est beaucoup plus concret donc ça mobilise plus de gens. La plupart des gens ne sont pas d’accord, et le gouvernement fait passer sa réforme en force. Par rapport aux cours qu’on nous donne et que l’État a validés, ce n’est pas en adéquation.
Comment ça se passe pour mobiliser les jeunes dans ton lycée en particulier ?
Ce n’est pas facile de mobiliser les lycéenEs. On n’a pas tous une éducation politique. Ça dépend des familles, des centres d’intérêt… et puis ce n’est pas un truc qu’on nous apprend en cours. Le fait qu’il y ait un syndicat, cela apporte une base. De nombreux lycéenEs ne pensaient pas se mobiliser un jour. Il y a deux types de blocages. Le premier c’est quand on décide de tous le faire en même temps et d’avoir dans les médias un nombre record de lycées bloqués à Montpellier pour faire du bruit. L’autre quand on essaie d’avoir un seul grand lycée bloqué comme cela s’est passé à Jules-Guesde, la semaine dernière. On peut inviter les médias et on bloque dans ce cas toute la journée. Sinon, on mobilise tous les lycées et on part à la manif l’après-midi en cortège. On n’a pas besoin d’être majeur, d’avoir un camion pour être une force d’action. C’est une manière de montrer notre émancipation par rapport aux syndicats qui nous aident beaucoup.
Comment décidez-vous du blocage ?
C’est très spontané en général. On regarde les grandes journées de mobilisation. Il y a des blocus qui se décident la veille pour le lendemain. Le premier on l’a décidé bien en avance. Depuis, on sait mieux comment faire. On sait à peu près comment vont réagir les figures d’autorité dans notre lycée. C’est beaucoup plus spontané qu’avant. Chaque lycée a des groupes de blocus sur Instagram en général où on parle un peu de l’organisation, des gens qui viennent. Après, on a le groupe de la FIDL sur Telegram avec des personnes de tous les lycées de Montpellier. On est répartiEs dans différents groupes pour partager des infos.
Vous aviez fait une réunion du type assemblée générale l’autre fois au parc…
Oui, mais peu de monde est venu. Faire des AG, c’est bien mais on se rend compte que c’est nécessaire quand il y a plusieurs groupes syndicaux, pas forcément quand on est qu’entre lycéenEs. Ce qui est compliqué c’est que de nombreuses personnes soutiennent mais par peur ou parce qu’elles n’ont pas envie d’avoir des sanctions ne viennent pas concrètement dans les actions. Même si on est beaucoup à être pour, on se retrouve peu nombreux à bloquer et manifester.
Est-ce que la peur elle ne vient pas de la répression ? La répression administrative (les CPE) mais aussi policière ? Et il y a la pression du bac aussi…
La pression du bac, je crois qu’il n’y a plus trop d’excuses. Il y en a beaucoup qui ont peur, qui ont vu des images de répression. Pour les lycéenEs, c’est plutôt la peur des sanctions administratives. À Jean-Monet, on les a menacéEs de les exclure. Défier l’autorité, c’est compliqué. On hésite. Quand on n’est pas dans un groupe, quand on ne sait pas qu’il y a des gens qui peuvent nous aider, c’est compliqué de se mobiliser seulE, de faire face à l’autorité quand on pense qu’on ne sera pas soutenuE par les autres.
Comment vois-tu les prochaines semaines ?
Les profs font de moins en moins grève parce qu’ils veulent être payés. Cela fait un peu peur, mais les gens qui sont avec nous ne sont pas prêts de se démobiliser. Après, il faut attendre que le Conseil constitutionnel donne son avis. Si la réforme passe, j’ai peur qu’il y ait des gens qui se disent que c’est trop tard. Après, on est toujours là. Ceux qui font le plus de bruit en manif, c’est nous. Celles et ceux qui sont dans les syndicats se mobilisent plus pour la structure. Le groupe va continuer. En tout cas, on attend toutEs qu’il se passe un truc en fait, un point où ça va céder. On se mobilise tous pour la réforme des retraites mais il y a plein d’autres choses. C’était juste la goutte d’eau qui faisait déborder le vase. Le 49.3, c’était carrément le torrent. Ça peut continuer que ce soit sur l’inaction climatique, la lutte contre les discriminations. Il y a un truc qui a été enclenché. On attend des choses, pas juste des gens qui parlent.
Propos recueillis par Louise C.