Comme partout, les rangs syndicaux ont été frappés de stupeur à l’annonce de la dissolution après les résultats d’élections européennes amenant le score de l’extrême droite, toutes listes cumulées, à près de 40%.
La CGT dénonce tout de suite un « président pyromane », rappelle la responsabilité première de Macron dans la banalisation du RN. Surtout, dès le 10 juin, se hissant à la hauteur de la situation, elle appelle sans ambiguïtés à l’unité de la gauche et à la constitution d’un front populaire, invitant les travailleuses et les travailleurs à prendre leurs dispositions pour voter les 30 juin et 7 juillet.
Un communiqué intersyndical est signé le même jour, en soirée, par cinq organisations, la CFDT, la CGT, l’Unsa, la FSU, Solidaires. Il redit l’opposition radicale du monde du Travail à l’extrême droite, met en avant neuf revendications – de fait un programme d’urgence – et fixe un rendez-vous de mobilisation le week-end des 15 et 16 juin. Mais reste silencieux sur ce qu’il faut faire pour contrer le RN dans les urnes.
Mobiliser dans la rue et sur les lieux de travail
Dans la semaine, les manifestations spontanées ont été un premier point de ralliement. Les réunions syndicales se multiplient. Sur les lieux de travail, les militantEs échangent et cherchent à mobiliser leurs collègues. Les équipes diffusent leurs premières expressions. Des déclarations intersyndicales sectorielles sortent dans le rail, l’éducation, la presse, la chimie… Dans la culture, dans certains secteurs de la fonction publique, la grève est déjà dans le paysage pour le 20 juin, forcément percutée par la séquence. D’autres rendez-vous se profilent. La date du 27 juin notamment.
L’alliance du Nouveau Front populaire, scellée le 10 juin, est concrétisée le 13 juin par l’annonce d’un programme et d’un accord électoral. La question est posée crûment au syndicalisme : comment se positionner ?
La consigne de vote est l’objet de discussions vives dans les organisations syndicales, traditionnellement rétives à en exprimer, habituée à se cantonner au « pas une voix pour l’extrême droite ».
Le Comité central national de la CGT a acté le 18 juin d’appeler à voter pour le programme du Nouveau front populaire. La FSU suit le lendemain, 19 juin. Si l’Union syndicale Solidaires reste encore timorée, plusieurs structures SUD/Solidaires ont franchi le pas également, appelant à voter et même à prendre part au front populaire.
La consigne de vote, un enjeu malgré la Charte d'Amiens
Deux questions sont en tensions. Celle de l’autonomie et de l’indépendance syndicale d’abord. Disons-le franchement : la Charte d’Amiens de 1906 que brandissent certainEs pour s’opposer à toute consigne de vote reste bien sûr notre patrimoine commun. Sur l’indépendance syndicale à l’égard des partis ; sur la double besogne, quotidienne et d’avenir, du syndicalisme ; quant à sa perspective anticapitaliste.
Mais les mots de 1906, transposables sur bien des points, ne nous disent pas comment empêcher l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement d’extrême droite en 2024. Dans l’immédiat, c’est un groupe parlementaire de front populaire qui peut l’entraver. Et si des structures décident démocratiquement de le dire, ce n’est pas une abdication de leur indépendance mais la prise en compte de l’urgence vitale dans laquelle nous sommes.
Celles et ceux qui pensent et disent qu’on fera grève quel que soit le gouvernement, Nouveau Front populaire ou RN, commettent une grave erreur. On ne fera pas grève ni de la même manière ni pour les mêmes raisons dans un cas ou dans l’autre – si tant est que faire grève soit encore une option avec le RN. La consigne de vote en tant que telle est bien un enjeu.
Se préparer à être un contre-pouvoir
L’autre question est tout aussi importante : si le mouvement syndical doit prendre toute sa place dans le front populaire c’est justement pour ne pas le laisser aux appareils politiques de la gauche institutionnelle. Il faut mettre l’alliance électorale sous contrôle populaire.
Faire front populaire c’est l’investir. Imposer nos revendications au-delà même du programme de gouvernement, qu’elles soient au cœur des mobilisations en cours, contribuer à l’organisation concrète et de terrain du front populaire avec l’ancrage qu’ont encore les syndicats. Se préparer aussi à être un contre-pouvoir agissant pour la défense des intérêts de notre classe. Parce qu’il faut changer la société vraiment.
Théo Roumier
(version modifiée le 20 juin)