Publié le Dimanche 23 février 2014 à 08h13.

Comprendre le budget des communes : des élus anticapitalistes pour casser l’opacité

Dossier coordonné par Henri Wilno et Patrick Saurin

Les communes continuent de jouer un rôle majeur dans la vie quotidienne des populations : environnement immédiat (voirie, urbanisme, etc.), écoles, aides sociales, activités culturelles et sportives, etc. Elles disposent aussi de possibilités insuffisamment utilisées, faute de moyens ou de volonté politique comme la création de centres de santé permettant de palier les insuffisances de la santé libérale.
Tout cela s’exprime dans un document clef : le budget de la commune. Sans se faire d’illusions, la présence d’éluEs anticapitalistes dans les conseils municipaux est indispensable : ils permettent de forcer les majorités municipales à débattre, à donner des informations, et ainsi à mettre sur la place publique ce que de nombreux autres voudraient régler entre eux.


Le vote du budget : vous avez dit « démocratie » ?

Le budget des communes est établi pour une année. Sa mise en place commence par un débat d’orientations budgétaires censé permettre au Conseil municipal de définir les orientations de l’année à venir...

En réalité, cela consiste pour l’équipe du maire à présenter le cadre budgétaire préparé par ses services de spécialistes. En guise de « débat », chacun peut bien évidemment dire ce qu’il en pense – occasion dont les éluEs anticapitalistes ne se privent pas –, mais l’affaire est d’autant plus entendue d’avance qu’aucun vote n’est prévu sur ces « orientations »...

Un vote de pure forme
L’étape suivante est la présentation, la discussion et le vote du Budget primitif, qui détaille très précisément les recettes et les dépenses prévues pour l’exercice comptable qui s’ouvre. Ce document comptable est articulé en deux sections, l’une consacrée au fonctionnement, l’autre aux investissements. Très difficile à déchiffrer par pour les profanes que sont bien des éluEs (et pas seulement anticapitalistes...), la masse de documents qu’il représente, le peu de temps dont on dispose pour les analyser et le fonctionnement du conseil municipal lui-même font qu’il n’est pas question d’espérer en changer la moindre ligne au cours de la « discussion » ! Quant au vote, il est acquis d’avance, les maires faisant régner une discipline stricte dans les rangs de leur majorité sur le vote du budget.
Au-delà de son aspect prévisionnel, le budget primitif constitue la « feuille de route budgétaire » à laquelle le fonctionnement de la mairie est contraint de se tenir. Les écarts rendus nécessaires par des événements imprévus donnent lieu, en cours d’exercice, au vote de décisions modificatives. En fin d’exercice et après clôture des comptes, le bilan est soumis au débat et au vote du conseil municipal sous le nom de compte administratif. Là encore, débats et votes relèvent de cette même mascarade démocratique qui fait des conseils municipaux de simples chambres d’enregistrement des décisions de l’exécutif (du maire, en premier lieu).

Daniel Minvielle


« Dépenses » : concrétisation d’une politique

Les « dépenses » d’une collectivité territoriale sont la concrétisation de la façon dont elle assume sa mission vis-à-vis de la population. Au-delà des aspects techniques, « gestionnaires », souvent utilisés comme justification, les choix sont éminemment politiques.

Il s’agit tout d’abord d’assurer le fonctionnement des divers services : administratifs, techniques, cantines scolaires, etc. Les dépenses relatives à ces services relèvent, pour une part, du budget « fonctionnement » (salaires, électricité, chauffage, téléphone, frais divers…) et, pour une autre part, du budget « investissement » (bâtiments, équipements, véhicules, etc.).
Les mairies mettent à disposition des associations des salles de réunion, de sport, de spectacle, des stades et leur versent des subventions de fonctionnement. Elles ont en charge l’entretien et le fonctionnement des écoles élémentaires, aussi bien publiques que privées sous contrat. Elles contribuent au financement des aides sociales par le biais de subventions aux CCAS (centre communal d’action sociale). Elles contribuent également au fonctionnement de divers organismes d’aide aux populations les plus précaires (formations, aide à la recherche d’emploi, etc.)… mais aussi des patrons, sous couvert de « politiques de l’emploi ».

De la réponse aux besoins des populations…
Au gré des diverses lois de décentralisation et autres réformes de l’État, les communes ont hérité de toute une série de « fonctions » nouvelles, à la charge de leurs finances. Dernière en date : la réforme Peillon sur les rythmes scolaires pour laquelle il faut fournir les locaux et prendre en charge le coût des séances d’animation proposées aux enfants. 
À tout cela s’ajoute le service de la dette : le remboursement des capitaux empruntés est prélevé sur le budget investissement, le paiement des intérêts ponctionne celui de fonctionnement…
Cette énumération, qui n’a rien d’exhaustif, permet de mesurer comment, avec la crise qui touche les populations, répondre à leurs besoins exigerait des moyens financiers toujours plus importants. Or c’est l’inverse qui se produit. L’accentuation des politiques d’austérité, sans parler des conséquences de l’endettement, est lourde de conséquences sociales.

… en passant par la casse des services publics
Outre les conséquences sur les associations, comment financer par exemple les grands projets urbains (transports en commun, grandes salles de spectacle, grands stades, complexes de loisirs…) qui, sans que leur utilité sociale soit réellement justifiée, sont censés entretenir le « prestige » des maires, attester de leur « vision de l’avenir » ? Alors que la crise des emprunts toxiques freine le recours à l’emprunt, les PPP (partenariat public privé) ont pris la relève. Et l’on a pu récemment assister à la proposition de la concession d’une ligne de tramway, construction et exploitation, au privé (Bolloré), par le président de la communauté urbaine de Bordeaux…
Et comment réduire « les frais de personnel » ? Alors que les dépenses sont globalement gelées, le poids de la masse salariale (lié à la stabilité des effectifs et des évolutions de carrière du fait des statuts de la fonction publique territoriale) ne cesse d’augmenter relativement aux autres postes budgétaires. Dans les mairies de gauche, l’exécutif s’en excuse, vantant sa « maîtrise des frais de personnel » tandis que l’opposition de droite dénonce les « excès », soutenue par la Cour des comptes.
Et tout est fait pour y « remédier », du recours à la précarité à la casse des régies municipales, leur remplacement par des sociétés dont les salariés ont un statut privé, comme les sociétés d’économie mixte (SEM) ou des délégations de services publics au privé. À cela s’ajoute une aggravation continue des conditions de travail dans les services, poussant les personnels à la révolte, comme en attestent les grèves qui se déclenchent dans certaines mairies à quelques semaines de municipales : en s’étendant aux municipalités, les politiques d’austérité amènent avec elles la crise politique.

Daniel Minvielle


« Recettes » : plus d’impôts pour les populations, moins pour les entreprises

Diverses ressources permettent aux communes de boucler leur budget. Les dépenses de fonctionnement sont financées par les dotations accordées par l’État, la vente de biens appartenant à la commune ou de services payants, et les ressources fiscales. Les investissements sont financés par l’emprunt, des subventions accordées par diverses structures (communauté de communes, département, Région, État, Union européenne) sur demande du maire pour tel ou tel projet, ainsi que sur les économies qu’a pu réaliser la commune sur son fonctionnement.

Après avoir été gelées pendant trois ans au nom des politiques d’austérité, les dotations de l’État aux collectivités locales ont été réduites de 1,5 milliard d’euros cette année. La même coupe est prévue pour l’année prochaine et pourrait même être doublée. C’est autant de moins pour les budgets de fonctionnement des mairies. En même temps, les transferts de fonctions de l’État sous couvert de décentralisation et de réforme de l’État sont loin de s’accompagner des budgets nécessaires à leur mise en œuvre.

Les taxes, pourquoi, comment ?
Face à cette évolution, éviter un recul drastique des dépenses ne peut généralement se faire qu’en augmentant les ressources tirées de la fiscalité locale, qui repose sur trois taxes. La taxe d’habitation est payée, sauf exonération, par tous les habitants. Son montant dépend d’une « base » établie par l’État, auquel s’applique un « taux » voté par le conseil municipal. Les « bases » sont calculées sur des valeurs locatives théoriques qui défavorisent les habitants des communes populaires. Dans ces communes, où existe souvent un fort décalage entre les besoins à satisfaire et le potentiel fiscal, la taxe d’habitation atteint des sommets.
La taxe foncière est payée par les propriétaires de terrains. Celle sur les propriétés bâties relève du même type de calcul que la taxe d’habitation et peut atteindre des niveaux insupportables pour des familles possédant un appartement ou un petit pavillon (alors que des marges d’augmentation peuvent exister dans des centre villes, et surtout à Paris). Celle sur les propriétés non bâties concerne les exploitants agricoles. Son montant, relativement bas, est parfois très lourd pour les petites exploitations agricoles qui ont du mal à vivre de leur travail. Par contre, son mode de calcul fait que les sommes payées au titre de la taxe foncière par des exploitations extrêmement rentables, comme les grands vignobles du Bordelais, par exemple, sont scandaleusement basses.
Enfin, il existait une taxe s’adressant aux entreprises, la taxe professionnelle. À l’issue d’années de réforme, sous prétexte de favoriser la compétitivité des entreprises et d’introduire une équité entre elles, cette taxe a été remplacée par la CTE (contribution territoriale des entreprises). Au bilan, les sommes perçues par les communes et prélevées sur les profits ont diminué. Et en guise d’équité entre les entreprises, les nouveaux modes de calcul ont contribué à alourdir la contribution des petites entreprises et à diminuer celle des grandes…
Du sommet de l’État aux conseils municipaux, la même logique d’aggravation des inégalités fiscales se transmet. L’évolution des ressources des communes en est une illustration concrète. 

Daniel Minvielle

À Lormont, annulons la dette illégale et illégitime des emprunts toxiques !

Dans cette commune de Gironde, dirigée depuis toujours par une majorité socialiste et communiste, la question de la dette et des emprunts toxiques est centrale.

En tant qu’élue du NPA, j’ai posé le problème en conseil municipal suite aux révélations faites par Libération, en collaboration avec le Collectif CAC33 pour l’audit citoyen de la dette. 15 des 28 millions d’euros de la dette de Lormont sont constitués par des « emprunts structurés ou toxiques », c’est-à-dire des emprunts très risqués. Les premières années, le taux d’intérêt est fixe et peu élevé (autour de 4 %), puis dans la deuxième période du prêt, le taux devient variable et va être calculé en fonction d’indices boursiers qui fluctuent au gré des spéculations financières. Nul n’est capable de dire quels seront les taux en 2014, leur année d’entrée en « phase active ».

Pris dans les taux...
Lormont a trois prêts toxiques, contractés dans les années 2000 auprès de Dexia. Cette banque privée est issue d’un établissement public créé en 1966, la CAECL (Caisse d’aide à l’équipement des collectivités locales). La CAECL a été privatisée en 1987, sous la gauche, pour devenir le Crédit local de France qui sera introduit en Bourse en 1991, avant de se transformer en Dexia. Dexia a profité de son image d’« héritière de la CAECL » pour faire souscrire aux acteurs publics locaux des prêts de plus en plus risqués, par une politique spéculative qui a amené cette banque à la faillite en 2012. Aujourd’hui, l’encours de prêts de Dexia y compris les 10 milliards d’euros d’encours très toxiques, ont été repris par la SFIL (Société de financement local), une structure publique créée à cet effet.
Les taux de ces prêts structurés peuvent s’envoler n’importe quand. Le plus toxique des emprunts de Lormont a été fait auprès de Dexia en 2007 pour financer des travaux de Renouvellement urbain. Son taux d’intérêt est indexé sur… la parité euro-franc suisse !
D’autres emprunts à taux variable, ainsi que les trois autres emprunts structurés de Lormont, dépendent d’indices comme « l’Euribor », basé sur les prêts interbancaires de la Zone euro et déterminé par… les banques elles-mêmes. Or, dernièrement, certaines de ces grandes banques viennent d’être assignées en justice pour avoir manipulé les taux qu’elles ont pour mission de déterminer. Ainsi, ce sont les ententes illicites et incontrôlables entre banques privées et la spéculation effrénée sur les dettes publiques qui règlent la valeur des taux variables... Rien de rassurant !

Fruits pourris du tripatouillage financier
Si la ville paie ses dettes avec les intérêts, en 2040, elle aura déboursé presque le double de ce qu’elle avait comme capital emprunté en 2012. C’est déjà énorme. Mais si les taux des emprunts toxiques venaient à s’envoler, elle devrait rembourser bien davantage ! Tout cela signifie moins de moyens pour la commune, ses employés et une dégradation des services publics rendus.
Aujourd’hui, environ 200 collectivités ont assigné Dexia en justice, comme Lormont l’a finalement fait en 2013. Devant cette situation, le gouvernement a mis en place un fonds public d’aide aux communes victimes d’emprunts toxiques. Mais cette réponse n’est pas la bonne. L’argent public de la commune ou de l’État ne doit pas servir à rembourser cette dette produite pas les tripatouillages financiers, c’est aux banques de la prendre en charge en intégralité !
La question de la dette est une question de rapport de forces social. C’est pourquoi la liste que nous avons constituée avec le PG pour les prochaines municipales, Contre l’austérité, pour une autre répartition des richesses, exige l’annulation de ces dettes illégales et illégitimes, et la mise en place d’un monopole public bancaire. L’épargne et le crédit sont des biens communs qui ne doivent pas être laissés entre les mains des banques privées, mais confiés à un véritable service public bancaire, sous contrôle des syndicats et de la population.

Mónica Casanova, élue NPA à Lormont


"Être au sein du conseil municipal le relais des luttes et des résistances aux politiques libérales"

Entretien. Isabelle Ufferte est élue municipale à Pessac (3e ville de Gironde) depuis 2001. Elle nous fait part de l’expérience d’une élue anticapitaliste sur les questions budgétaires.

Le budget d’une municipalité de 60 000 habitants, comme Pessac, est une affaire complexe. Est-il possible, pour des éluEs n’appartenant pas à la majorité, de se faire une idée réellement précise des choix budgétaires et politiques de l’exécutif ?
Non, pas du tout : si les choix politiques sont eux malheureusement clairs, le détail des choix budgétaires est obscur. Politiquement, la gestion de la majorité municipale (PS, EELV, PCF) ne se distingue en rien de la gestion de villes de droite, qu’il s’agisse de délégations de service public, de grands travaux prestigieux ou d’opacité et d’absence de démocratie…
C’est logique quand on sait qu’existe au sein de la Communauté urbaine de Bordeaux (CUB qui regroupe 27 communes), un accord de cogestion entre tous les élus, de l’UMP au PCF… C’est Chaban-Delmas qui en avait été l’initiateur en 1977, alors qu’il était président de la CUB, et cette cogestion a continué sous les présidents suivants, de droite (Juppé) comme de « gauche » (Rousset, Feltesse).
Au-delà des grandes orientations simples à comprendre, le détail des choix budgétaires est très obscur : combien d’argent public est consacré à telle ou telle action, qui bénéficie réellement de tel investissement, telle subvention, bien difficile de le savoir. A titre d’exemple : la municipalité où je suis élue a voté il y a quelques années une « subvention » à un opérateur HLM dans le cadre d’une restructuration du centre ville de 1,25 million d’euros. Quand nous avons essayé de comprendre à quoi était destinée une telle somme, on nous a donné des explications prétendument « techniques »... Dans les faits, cela a servi à financer dans la plus grande opacité l’installation d’un lycée catholique (en prenant en charge une partie du coût du terrain), alors que dans le même temps des classes fermaient dans le lycée public...

Comment des éluEs anticapitalistes peuvent-ils intervenir dans un tel contexte ?
Pour cette affaire par exemple, c’est un élu Vert, scandalisé par l’opération, qui nous a vendu la mèche, un élu PCF nous a aussi discrètement renseignés. Mais malgré cela, nous avons été les seuls à voter contre ce scandale et à le dénoncer publiquement ! Sans nous, cela aurait été silence radio : les élus Verts et PCF se sont abstenus, acceptant de se soumettre à la « discipline majoritaire »…
De manière générale, il est bien difficile de comprendre le détail des opérations sans relais sur le terrain. Les documents auxquels nous avons accès sont complexes, difficilement compréhensibles pour des non-initiés, mais derrière la froideur des chiffres et des colonnes, il y a des choix politiques aux conséquences bien concrètes pour la population. Et c’est avec elle que nous pouvons agir, en encourageant les habitants, les salariés, les associations à faire entendre leurs exigences.
La vraie question est finalement celle de la démocratie, celle de la façon dont la population est associée aux choix budgétaires, et aujourd’hui elle ne l’est absolument pas. Ce n’est que quand elle s’organise, qu’elle se prend elle-même en main qu’elle peut peser sur ces choix. Et nous pensons que l’essentiel de notre travail est là : être au sein du conseil municipal le relais des luttes et des résistances aux politiques libérales.

Face  à la contestation de certains de leurs choix, les exécutifs municipaux expliquent qu’ils sont contraints de « gérer » dans un cadre juridique et budgétaire qui leur est imposé. Comment agir face à cela ?
Les contraintes sont de plus en plus grandes avec les coupes brutales dans les dotations de l’État, la baisse des budgets sociaux des conseils généraux… et la dette qui saigne les budgets de nombreuses collectivités locales. Une majorité anticapitaliste serait soumise aux mêmes contraintes, mais elle ferait appel à la population, à sa mobilisation pour refuser de s’y plier ! Et si une commune entrait en résistance, cela aurait des conséquences immédiates sur les communes alentours, cela encouragerait tous ceux qui veulent résister. Il n’y a qu’à voir l’écho qu’a eu une expérience comme celle de Porto Alegre au Brésil ou qu’a aujourd’hui celle de Marinaleda en Andalousie !
Mais même en étant minoritaires, on peut agir dans un conseil municipal. Justement en appelant la population à s’organiser, en utilisant notre présence pour y faire entendre la voix de ceux à qui on ne donne jamais la parole… et cela peut payer ! De la même manière que des éluEs du personnel peuvent porter la parole des salariéEs dans les comités d’entreprises et les appeler à imposer leurs revendications, les éluEs anticapitalistes portent la voix des classes populaires, de l’intérêt général contre les intérêts particuliers de quelques-uns, et cela permet parfois que les choses ne se passent pas comme prévu. Notre petite expérience prouve qu’on peut être utile à cela !

Propos recueillis par un correspondant du NPA 33