Publié le Mercredi 9 décembre 2020 à 11h29.

La loi de 1905 : retour sur un texte méconnu

Dans l’esprit de beaucoup de militantEs, la loi de 1905 aurait constitué un acquis majeur du combat de la gauche anticléricale. Cette conception oublie que la loi de 1905 a constitué une loi d’apaisement, qui a permis à la bourgeoisie républicaine de se réconcilier avec l’Église catholique, s’engageant sur une voie de compromis qui devait l’amener à la vider progressivement de son contenu.

La loi de séparation de l’Église et de l’État avait originellement vocation à s’inscrire dans le contexte de réaction républicaine qui avait suivi la crise dreyfusarde. Profondément déstabilisée par la montée en puissance de l’Église catholique, en particulier par les congrégations religieuses qui alimentaient une contestation factieuse, les Républicains engagèrent à partir de 1899 une vaste offensive anticléricale. Ils s’attaquèrent tout d’abord, par la loi sur les associations de 1901, aux congrégations religieuses qui purent être dissoutes en 1902-1903, tandis que leurs écoles étaient fermées, assurant ainsi la laïcisation de l’enseignement. Non sans hésitations, les radicaux décidèrent de faire un pas de plus, en préparant une nouvelle loi, afin d’abroger le Concordat de 1801, qui permettait à l’État de financer mais aussi de contrôler l’Église catholique.

Modération

Toutefois, au début de l’année 1905, le gouvernement anti­clérical de Combes fut renversé par les Républicains modérés qui s’inquiétaient de sa radicalité. Sous l’égide d’Aristide Briand, la loi de séparation de l’Église catholique et de l’État fut dès lors infléchie pour être conçue comme un texte d’une grande modération, qui avait pour finalité de ménager les catholiques modérés. Son article 1, « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes… », n’apportait rien de nouveau et s’inscrivait dans la tradition libérale héritée des Lumières. Son article 2 affirmait bien que « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte […] », mais pondérait aussitôt cette affirmation en mettant en place des « aumôneries » dans les écoles, les casernes et les hôpitaux, qui émargeaient au budget de l’État.

Le débat se polarisa sur l’article 4, censé définir la gestion des biens ecclésiastiques, qui étaient devenus la propriété de l’État depuis la Révolution. Alors que la gauche considérait que ces biens publics devaient être gérés par des associations indépendantes, les Républicains modérés, soutenus sur ce point par Jaurès, imposèrent une rédaction qui prévoyait que les biens ecclésiastiques seraient gérés par des associations cultuelles, qui devaient se conformer « aux règles d’organisation générale du culte dont elles proposent d’assurer l’exercice ». Ainsi rédigé, l’article garantissait à l’Église catholique le bénéfice de la gestion des biens ecclésiastiques, tout en lui permettant de bénéficier du soutien de l’État pour l’entretien de ces biens qui conservaient un statut public. La majorité des évêques ne s’y trompa d’ailleurs pas et accepta la loi, d’autant que la suppression du Concordat de 1901 leur permettait de se libérer du contrôle qu’exerçait jusque-là l’État.

Une loi vidée de son contenu

Satisfaite d’avoir ainsi réglé la question religieuse, la bourgeoisie républicaine multiplia les gestes de bonne volonté. En 1907, Clemenceau renonçait à faire rédiger les inventaires des biens publics concédés aux associations cultuelles, aux termes de l’article 4. En 1919, le gouvernement français décida que loi de 1905 ne s’appliquerait pas aux territoires d’Alsace-Lorraine, qui restèrent soumis au Concordat de 1901. En 1920, le gouvernement fit voter une nouvelle loi dérogatoire, afin de pouvoir financer la grande mosquée de Paris, qu’il voulait ériger en hommage aux combattants musulmans de la Première Guerre mondiale. En 1924, à la demande du Pape, le gouvernement modifia l’article 4, en transformant le statut des associations cultuelles qui devinrent dès lors des associations diocésaines, placées sous le contrôle des évêques.

Le démantèlement en faveur de l’Église de la loi de séparation s’accéléra tout au long du 20e siècle. En 1942, le régime de Vichy établissait une loi, toujours en vigueur, qui imposait à l’État d’entretenir les édifices ecclésiastiques des associations diocésaines, y compris lorsqu’ils n’étaient pas classés. En 1951, la loi Marie-Barangé permettait de subventionner les parents qui voulaient scolariser leurs enfants dans l’enseignement catholique. En 1959, la loi Debré alla encore plus loin, en garantissant un financement public aux écoles catholiques.
Les grands principes de la loi de 1905 avait donc été à peu près totalement démantelés, lorsque la loi de séparation revint sous les feux de l’actualité, quand Nicolas Sarkozy l’amenda en 2004, pour interdire le port du voile à l’école. Tout en refusant de revenir au texte de la loi de 1905, les politiciens de droite, mais aussi de gauche, se plurent dès lors à se réclamer de cette loi de séparation, qui devint l’emblème de la nouvelle politique raciste et islamophobe qu’ils mettaient en place. La loi de 1905 se trouva ainsi chargée d’un sens totalement nouveau, qui amena la classe politique à s’en réclamer, alors qu’elle avait depuis longtemps à peu près totalement abrogé les principes qui l’organisaient.