Publié le Vendredi 2 octobre 2009 à 18h25.

EDF : l'échec social de la libéralisation 

EDF et GDF n'ont jamais connu un tel mouvement social. Mouvement qui, aujourd'hui, n'est pas terminé puisque les salariés du parc nucléaire restent dans l'action. Mouvement parti de la base, en dehors du cadre interfédéral et de ses sempiternelles grèves de 24 heures. 

Le départ de ce mouvement est venu des gaziers (stockages gaz et terminaux méthaniers) qui ont obtenu de réelles avancées au bout de trois jours, alors que le monde militant regardait plutôt du côté du parc nucléaire qui avait donné des signes avant-coureurs de mobilisation (grève de 15 jours à la centrale de Penly à l'appel de SUD),

A ERDF-GRDF (filiales d'EDF et GDF-Suez en charge du réseau de distribution de l'électricité et du gaz), les jeunes ont créé la surprise en s'engouffrant dans le mouvement lancé par les équipes syndicales (CGT et/ou SUD selon les endroits), en lui apportant un caractère particulièrement combatif. Les revendications principales étaient unifiantes pour l'ensemble des secteurs : salaires, arrêt de l'externalisation des métiers et embauches massives.

La grève reconductible s'est imposée d'emblée dans les assemblées générales (AG) et a pris différentes formes suivant les régions : totale pour les unes, partielle avec temps forts pour les autres. Des actions efficaces ont tout de suite été réclamées et le silence des médias a entraîné des coupures de courant à grande échelle. 

La grève, qui s'est d'abord étendue à ERDF-GRDF puis au parc de production thermique et nucléaire, a eu à faire face à différents problèmes.

D'abord l'interfédérale (les cinq, SUD en étant exclue) qui, surprise par le mouvement, n'a jamais donné de réels signes de volonté d'extension et de coordination : pas d'appel à la généralisation, pas d'appel à une manifestation nationale et surtout refus de faire circuler l'information.

Ensuite la répression et les tentatives répétées de revenir sur le droit de grève, en particulier dans le parc nucléaire : lettres de convocation à un entretien préalable pour fautes graves, encadrement au contact des piquets de grève pour tenter d'intimider les salariés (avec parfois des affrontements ou des réactions « fortes » de ces derniers), convocations en référé dans le nucléaire, de responsables syndicaux, arrestations, matraquages, voire mises en garde-à-vue.

Ensuite la démocratie au sein du mouvement : pas de coordination de l'action dans un secteur très éclaté géographiquement, et surtout, des prises de décisions au niveau national en dehors de toute concertation avec les grévistes, dont la signature par la fédération CGT d'un accord d'avancements individuels privilégiant les hauts salaires !

Et comment ne pas évoquer le mur dressé par le patronat de l'énergie, poussé par le gouvernement : plutôt perdre de très grosses sommes, dégrader durablement les rapports sociaux que répondre à des revendications légitimes et accessibles, par peur du risque de la généralisation de ces exigences à d'autres secteurs. Cela pose des questions stratégiques pour le mouvement social. 

Malgré tout cela, les salariés ont tenu jusqu'à neuf semaines de grève et su souvent imposer à certains responsables syndicaux la poursuite de l'action. Aujourd'hui, malgré les faibles avancées et la reprise du travail au sein d'ERDF-GRDF, ce n'est pas la démoralisation qui l'emporte mais la fierté d'avoir tenu, la volonté de faire de vrais bilans et la certitude que le mouvement reprendra bientôt. 

Paco Lélec.

Interview :

Jérôme est opérateur dans une centrale nucléaire. Patrice est agent ERDF en Île-de-France. Tous deux ont été des animateurs du mouvement.

Comment le mouvement a-t-il débuté dans votre secteur ?

Jérôme : On a démarré, dans un contexte déjà très tendu, à la suite d'un courrier de la direction de la centrale qui annonçait une baisse de l'intéressement malgré des résultats très bons, pour une question de sécurité (alors que l'autorité de sûreté avait donné une bonne note au site). Dès le départ on avait l'idée qu'on s'installait dans la durée.

Patrice : A l'origine du mouvement en IDF : l'externalisation des métiers de techniciens clientèle et de l'astreinte, qui faisait suite au passage au privé de la relève des compteurs. Les plus jeunes d'entre nous ont alors compris qu'ils risquaient de se retrouver en chômage interne alors qu'on leur avait annoncé qu'ils pourraient avoir un métier et une progression au sein de l'entreprise.

L'annonce des augmentations de nos patrons en a largement rajouté. Ensuite, il y a eu la participation importante aux journées du 29 janvier et du 19 mars et les salariés ont voulu continuer : la grève a démarré le 3 avril. Pour la première fois depuis 1968, un mouvement de ce type est parti sans les fédérations.

Quels ont été les temps forts de cette bagarre ?

Jérôme : D'abord l'organisation des filtrages à l'entrée du site où les salariés se sont retrouvés au coude à coude. On s'est opposé à toutes les intimidations de la direction, aux huissiers et on a immédiatement reçu l'assentiment des collègues filtrés malgré des attentes de 2 ou 3 heures. La cohésion a tout de suite été forte.

La convocation en référé des représentants syndicaux CGT, FO et SUD a également été importante. On a été obligé de justifier nos modalités de grève et le contenu de nos préavis. Dans le même registre, la réception pour nombre d'entre nous de lettres de menaces de sanctions disciplinaires. Chez nous, il faut se battre jour après jour pour faire respecter notre droit de grève. On avait le sentiment qu'en nous harcelant, l'encadrement voulait nous pousser à la faute.

Patrice : En fait, la répression a créé du lien. Quand on s'est fait embarquer à l'Hôtel de Ville, matraquer à la Défense et mettre en garde-à-vue après l'occupation de l'Unemig (fédération patronale du gaz), loin d'intimider, ça nous mettait plutôt la pêche.

Ensuite, il y a eu toutes les actions : coupures de gaz (les premières depuis quarante ans), les coupures d'électricité ciblées aux Halles, à Gennevilliers, la « visite occupation » du bureau de Mestrallet.

Comment le mouvement a-t-il été conduit ?

Jérôme : Les AG décidaient chaque jour de la reconduite de l'action : au début les trois organisations syndicales (CGT-SUD-FO) se voyaient avant pour faire des propositions communes ; maintenant, c'est plutôt derrière les micros que ça se passe. C'est dire que les points de vue sur la continuité du mouvement ne sont plus tout à fait les mêmes. Le problème a tout de suite été les informations sur les autres sites, parce que les fédés ne transmettaient rien. Alors, on s'est organisé au niveau local, avec l'aide de SUD, pour faire circuler l'info partout. Puis, il y a eu la signature de l'accord sur les avancements individuels par les fédérations sans que les grévistes ne soient consultés : dans nos AG, ça a fait du bruit parce que tout le monde a compris qu'elles voulaient qu'on reprenne le boulot.

Patrice : On avait des AG par site en début de matinée et centralisées un peu plus tard. Les AG par site correspondaient à la bataille pour l'élargissement du mouvement, souvent on coupait le jus des secteurs traditionnellement plus difficiles à mobiliser comme les plateaux téléphoniques. Les gens étaient contents, l'accueil était sympa mais cela restait une tendance à la délégation.

Au niveau national, les fédés sont restées l'arme au pied, n'ont pas impulsé la coordination entre secteurs, et surtout n'ont pas fait circuler d'infos sur ce qui se passait au niveau national. Elles se sont contentées d'appeler à quelques temps forts sur des revendications minimales. La CGT n'avait pas de position claire : elle a poussé à la signature d'un accord sur les avancements individuels en plein conflit !

Quel bilan tirez-vous de ce mouvement ?

Jérôme : Les gens en avaient marre de voir le service public partir en lambeaux, ils ne supportaient  plus les coups portés aux salaires, aux retraites et au statut. Il y avait un ras-le-bol accumulé depuis longtemps qui ne s'exprimait pas. Cette colère a enfin pu s'exprimer et ce n'est pas terminé. Et puis, beaucoup se sont affranchis du carcan interfédéral. Tout ça est positif pour l'avenir.

Patrice : Cette lutte a permis le rassemblement de deux générations, les plus jeunes qui ont finalement peu connu un réel fonctionnement du service public et les autres qui l'ont perdu. Les plus jeunes ont pris conscience de la nécessité de se battre, et les autres ont réalisé que c'est encore possible. Et puis, il n'y a pas de démoralisation, au contraire une fierté d'avoir participé à une grève historique.