On se souvient des très fortes mobilisations, en 2009, dans l’entreprise Continental à Clairoix, contre la fermeture du site. Mais qui avait entendu parler de la liquidation, quelques années plus tôt du site de Herstal (en Belgique) du même producteur ? Ce petit livre revient sur cet épisode qui a vu, en 2003, la fermeture définitive du site historique du producteur de pneu Englebert, créé en 1892 et racheté par Continental. L’ouvrage revient donc sur 111 années d’histoire de l’entreprise. Mais son intérêt n’est pas purement commémoratif. En effet, à la suite d’un incident purement fortuit, une grande part de la stratégie de la direction de l’entreprise, ayant conduit à la délocalisation de la production en Tchéquie et à la fermeture du site de Herstal, se découvre soudain dans toute sa violence. Tout commence par un vol dans l’entreprise, en 2002, peu de temps avant la fermeture prévue. L’ordinateur d’un des employés fait partie du butin des voleurs et on fournit un nouvel ordinateur au salarié. Sauf que cet ordinateur appartenait à un cadre supérieur parti quelque temps auparavant. Le disque dur a été mal nettoyé et le nouvel utilisateur découvre avec stupéfaction toutes les informations sur la liquidation de l’entreprise. Cela n’empêchera pas la direction d’arriver à ses fins, mais ce rocambolesque incident permet d’éclairer la manière dont la direction d’un groupe international s’y prend pour liquider un site de production.
De ce point de vue, même s’il ne rentre pas dans les détails et s’il reste finalement dans le cadre d’un keynésianisme de bon aloi (en conclusion, l’auteur cite Keynes en se demandant qui va acheter les produits si les travailleurs sont au chômage), ce livre pose la question décisive de l’accès des travailleurs et de leurs représentants aux informations économiques les concernant. En effet, si Bauraind montre bien que les instances représentatives du personnel ont bien bénéficié des informations dans le cadre de la loi Renault (après l’affaire de la fermeture de Renault Vilvorde, les syndicats doivent être informés préalablement des décisions de la direction), il en dresse immédiatement les limites, car, dans une multinationale, les décisions ne sont jamais prises au niveau de la filière qui doit être fermée, mais bien dans le cadre global du groupe. Et là, les informations ne sont pas disponibles pour les syndicats et les travailleurs. La question, propagandiste, de « l’ouverture des livres de comptes », se justifie ainsi pleinement. Ce que montre également les informations contenues sur le disque dur, c’est que les décisions stratégiques de la direction de Continental sont bien antérieures aux informations délivrées au compte-gouttes . Alors que le plan de fermeture est annoncé à partir de 2002, les premières mesures pour gérer la fermeture remontent au minimum à 1999.
Enfin, l’intérêt du livre porte également sur les procédures de reclassement mises en œuvre en Belgique. Si lesdites procédures sont largement encadrées par les organisations syndicales, permettant de lutter en particulier contre l’individualisation du traitement des dossiers, le bilan final n’est guère différent de celui que l’on connaît dans l’Hexagone, pour une raison équivalente en Belgique et en France : ce n’est pas le reclassement qui crée de l’emploi.
On l’aura perçu au fil de ces lignes, bien qu’il s’agisse d’un travail de facture journalistique, l’intérêt de ce livre est manifeste pour la compréhension des manières de faire des groupes internationaux. À lire donc sans hésiter.
Georges Ubbiali