Publié le Mercredi 23 novembre 2016 à 09h07.

Brassens sur parole(e)s

Mercure, 2016, 16 euros. 

Louis Chédid, chanteur-compositeur, et Eve Cazzari, nièce de Brassens, ont eu cette belle idée de réunir seize actrices et acteurs pour leur faire interpréter des chansons de l’ami Georges qui nous a quittés il y a 35 ans. Un « hommage », mais à l’image du bonhomme à la pipe, moustache et guitare, à la bonne franquette, sans fioritures. Des interprétations toutes simples d’où ressort le plaisir à faire vivre les histoires du poète.

Comme il se doit, c’est ensemble que ces artistes – Roussin, Liard, Fau, Gallienne, Tautou, Richard, Bouquet, Frot, Abelinski, Dumas, Julie Depardieu, Léa Drucker, Morel, Berléand, Bonneton, Dussollier – interprètent joyeusement les Copains d’abord. Et chacunE nous livre, avec sa sensibilité, une version d’une des chansons.

Julie Depardieu dans le Gorille : « Car le juge, au moment suprême, criait : "Maman !", pleurait beaucoup, comme l’homme auquel le jour même, il avait fait trancher le cou… ». François Morel dans La non demande en mariage : « J’ai l’honneur de ne pas te demander ta main, ne gravons pas nos noms au bas d’un parchemin… » Audrey Tautou dans La mauvaise réputation : « Le jour du Quatorze juillet, je reste dans mon lit douillet, la musique qui marche au pas, cela ne me regarde pas… » Pierre Richard dans les Passantes : « À celles qui sont déjà prises, et qui vivant des heures grises, près d’un être trop différent… » Catherine Frot dans La complainte des filles de joie : « Bien que ces vaches de bourgeois les appellent des filles de joie, c’est pas tous les jours qu’elles rigolent… », etc.

Tout a été dit sur Brassens, le poète libertaire, anticonformiste, anticlérical, antimilitariste et anti-connerie ! Impertinent et grivois, d’un individualisme forcené, mais si chaleureux et plein de malice. Méfiant pour toutes les idées reçues d’où quelles viennent, hostile à toutes les chapelles, mêmes laïques, contre l’ordre des choses et tous ceux qui voudraient nous empêcher de vivre et de rêver. Ses chansons sont de petites merveilles d’écriture poétique, lui qui se voulait un artisan des mots. Pleins de beaux et forts sentiments humains qui jaillissent de ses textes, remèdes contre la bêtise, l’intolérance, les bassesses.

Ces qualités lui ont donc valu les foudres de la censure, comme sa chanson le Gorille interdite d’antenne en 1953. Un bon début de carrière pour un premier disque s’appelant La mauvaise réputation, du nom d’une autre chanson d’un anticonformisme qui ne le quittera pas. La bêtise crasse de cette censure ne pouvait que donner envie d’écouter ses chansons, ainsi que celles de Boris Vian, Léo Ferré, Jean Ferrat, Marc Ogeret ayant aussi subi la censure. En fait, un gage de qualité !

Le personnage était aussi un joyeux compagnon, la preuve vivante qu’une tête bien remplie et un cœur gros comme ça, plein d’amour et d’amitiés (sauf pour les cons !) ne rime pas avec tristesse, bien au contraire. En concert, Brassens avait la moustache frémissante et l’œil qui frisait lorsqu’il s’apprêtait à dire un bon gros mot de derrière les fagots ! Ce disque est donc à prendre pour ce qu’il est, une démarche sympathique, un clin d’œil qui peut donner envie de découvrir ou de redécouvrir l’œuvre de Brassens et d’aller se promener en sa compagnie sur les chemins de la chanson poétique. C’est bon et ça fait du bien. Par les mauvais temps qui courent, à déguster sans modération !

Jacques Raimbault