Avec Haluk Bilginer, Melisa Sözen et Demet Akbag. Sortie le mercredi 6 août.
Palme d’or à Cannes, Winter sleep se déroule dans un hiver neigeux de la province turque (en Cappadoce). On y voit agir, et surtout parler, des personnages analogues à ceux de la littérature russe de la fin du 19e siècle (le film s’inspire de trois nouvelles de Tchekhov) : le propriétaire qui a aussi des aspirations intellectuelles, la femme oisive et charitable, les notables, l’intendant, l’instituteur, le peuple, les chasseurs, etc.
La technique de Ceylan est admirable. Le film est long, sans doute trop, et susceptible d’analyses diverses, selon la facette privilégiée. Par exemple, on peut le regarder sous l’angle de la célèbre phrase de Marx : « Ce n’est pas la conscience des hommes qui déterminent leur être ; c’est inversement leur être social qui détermine leur conscience ».
Le héros Aydin est un « homme double ». Il est d’abord un propriétaire : un hôtel (où en même temps il habite), des maisons louées aux habitants (finalement poursuivis en justice quand ils ne payent pas), des magasins. Par ailleurs, il a auparavant été acteur de théâtre et se pique d’être un intellectuel : il écrit des articles dans un journal local et a en projet une histoire du théâtre turc. Il oscille constamment entre ces deux pôles de sa personnalité avec un trait d’union : la conviction de savoir ce qui est « bien » et comment se comporter, notamment pour ce qui est de sa femme, Nihal, dont il bride les initiatives. Il parle volontiers avec ses égaux : les touristes de l’hôtel, sa sœur et sa femme (parfois), les notables locaux. Par contre, le reste est délégué à l’intendant : discuter avec les locataires, demander un renseignement à la gare… et bien sûr gérer les biens.
Tout cela est mêlé à un amour sans doute profond pour sa femme et à de la mélancolie pour ce qu’il aurait (peut-être) pu être. C’est sans doute le petit garçon qui jette une pierre sur la voiture du propriétaire et refuse de s’humilier qui est le plus porteur d’espoir.
Henri Wilno