De Caroline Pochon. Visionnable sur le site de France TV.
Le récit des conditions d’embauche, de travail, d’exploitation, tord une fois de plus le cou au mythe des 30 glorieuses. La « forteresse ouvrière », c’est l’« organisation scientifique du travail », « les mains enchaînées à la chaîne », avec, dans les années 1950, 20 000 ouvriers dont une majorité d’OS, numéros interchangeables, dans ce qui ressemble à « un bagne » aux portes de Paris.
À la fin des années 1960, Renault décide de doubler les chaînes de production avec la mise en fabrication de la Renault 6. Les chaînes vont tourner sans interruption de 6 h 30 à 22 h 30, ce qui nécessite d’avoir 8 000 OS en chaîne et conduit à aller chercher au Maghreb des milliers de travailleurEs immigrés. Chantage aux « papiers », contrats précaires, entassement dans les foyers : on est loin de l’immigration présentée comme l’opportunité pour sortir de la misère. C’est l’un des intérêts essentiels de ce documentaire que de présenter cette histoire de Renault Billancourt comme une page essentielle, incontournable de l’histoire de l’immigration, de l’histoire ouvrière en France. 95 % des travailleurEs immigrés sur chaîne sont OS. La solidarité, les liens qui se tissent autour de la chaîne contrebalancent le racisme porté notamment par une hiérarchie dont une grande partie a été marquée par la guerre d’Algérie.
Mai 1968
Mais, bien sûr, c’est dans les grèves que tout change, singulièrement en mai 1968. Renault Billancourt est un point de passage obligé de l’extension de la grève, contrôlée par un PCF et une CGT qui tiennent les étudiantEs à distance. Images et discours toujours étonnants du responsable de la CGT Roger Sylvain qui, 50 ans après, continue de justifier l’attitude de la CGT en dénonçant « les mecs à Cohn Bendit ». Mais avec un discours malgré tout loin de la politique du coup de poing de l’époque. Une politique dont l’enjeu est d’empêcher la « contamination par l’esprit révolutionnaire des étudiants ». Et là non plus les travailleurEs immigrés n’ont pas droit à la parole. La tentative de faire reprendre le travail dans la foulée des accords de Grenelle devra être repoussée au 18 juin, faute d’approbation par les salariéEs.
Bien sûr, la semaine de 40 heures, la reconnaissance du syndicat dans l’entreprise, la mensualisation et le salaire minimum à 1 000 francs sont des acquis réels. Mais ne répondent pas au « changement de société » tant débattu.
Mais plus rien n’est comme avant. Les OS, et notamment les immigréEs, s’engagent dans la lutte. La présence des militantEs d’extrême gauche, notamment maoïstes, alimente les mobilisations en partie en opposition à la CGT. Les grèves bouchons des travailleurEs en chaîne permettent plusieurs victoires, notamment pour les OS. Un développement des affrontements qui connaît son apogée avec l’assassinat du militant maoïste Pierre Overney par un vigile, déclenchant en contrecoup la plus grande manifestation initiée par l’extrême gauche, le 4 mars 1972.
Jusqu’à la fermeture
L’élection de Mitterrand en 1981 relance les espoirs d’un changement de société, qui s’est éloigné avec le développement du chômage. La longue grève (31 jours) des OS en 1982 concrétise cette relance. Les réponses sont minimes : formations bidons, en nombre réduit. La fermeture du site de Billancourt est déjà dans les réflexions de la direction et du gouvernement. L’assassinat du PDG, George Besse, ne fait qu’accélérer les processus. Baisse des effectifs, déplacements des productions vont de pair avec la modernisation des usines. On propose aux immigréEs des départs en retraite anticipée, des reconversions bidons, ou le retour dans leur pays. Avec une résistance limitée de la CGT, l’usine est fermée en 1992 et tout souvenir de ce lieu de tradition ouvrière, de luttes, est effacé.
Tout au long du documentaire, et ce malgré la regrettable absence de témoignage de femmes, certes peu présentes dans l’entreprise, les témoignages de travailleurEs immigrés et de notre camarade Patrick Schweizer éclairent le récit, avec des explications mais aussi des questionnements utiles.
Robert Pelletier