Publié le Mercredi 3 mai 2017 à 11h04.

I am not your negro

De Raoul Peck. Sortie le mercredi 10 mai 2017. 

Raoul Peck est un cinéaste dont l’engagement ne se dément pas... 

Parmi sa longue filmographie, on peut citer un documentaire sur Patrice Lumumba, Lumumba la mort du prophète, une fiction sur l’ENA, L’école du pouvoir, et Moloch tropical, véritable chef d’œuvre consacré à un dictateur haïtien mégalomane. Cette fois, il s’est inspiré d’un manuscrit inachevé de l’écrivain noir James Baldwin qui évoque en particulier les assassinats de Martin Luther King, Malcom X et Medgar Evers, militant moins connu de la NAACP (National Association for the advanced of coloured people) dans les années 1960. « L’histoire des Noirs en Amérique, c’est l’histoire de l’Amérique, et ce n’est pas une belle histoire », dit James Baldwin qui dénonce « le mensonge humanitaire de l’Occident » dans une interview télévisée, face à un journaliste qui lui demande de façon candide de quoi il se plaint alors que le sort des Noirs ne cesse de s’améliorer...

Le film de Raoul Peck met en parallèle la réalité cruelle de cette Amérique raciste, au travers d’images insoutenables de lynchages et de visages haineux, avec l’image qu’elle cherche à se donner grâce à l’univers hollywoodien, avec des comédies insipides où l’on voit des Blancs s’amuser et danser entre eux, alors que les Noirs n’occupent que des places de domestiques serviles et souriants.

D’hier à aujourd’hui

Le cinéaste rappelle que la prospérité de ce temple de la consommation où des familles heureuses poussent leurs caddies devant les caméras des publicitaires a été bâtie sur deux génocides, celui des Africains et celui des Indiens. Les héros de cet univers imaginaire sont les émules de John Wayne qui dégomment joyeusement à la Winchester des hordes d’Indiens qui chargent stupidement. « L’Amérique de l’époque avait deux têtes de gondoles : Gary Cooper et Ray Charles, à condition qu’ils ne se rencontrent jamais. »

Raoul Peck fait le lien avec la situation actuelle avec des images des manifestations de Black lives matter et les meurtres de jeunes Noirs par la police. « Je vous connais mieux que vous ne me connaissez, dit encore Balwin aux Blancs racistes, car j’ai été obligé de vous regarder. » La lucidité et la subtilité de son texte, avec la voix de Samuel L. Jackson (dans la version originale), fait ressortir la souffrance et la révolte d’un homme doublement opprimé comme Noir et homosexuel.

La beauté et la violence des images sont soulignées par une bande son superbe, qui fait appel à quelques grands classiques du blues, en particulier le fameux « Black, brown, and white » de Big Bill Broonzy1 qui dénonce la discrimination. « Le nègre est un personnage créé par l’idéologie dominante pour servir d’exutoire et masquer les problèmes de classe », conclut Raoul Peck dans l’interview qui a suivi la diffusion de son film sur Arte fin avril. Fort heureusement son film sort en salle dans quelques jours. À voir et à faire voir !

Gérard Delteil

 

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  • 1. En substance : « Si t’es Blanc, ça va pour toi, si t’es foncé, ça peut aller, si t’es Noir, tire toi ! »