Publié le Jeudi 23 février 2023 à 10h02.

« Le pouvoir de Saïgon accusa le FNL d’avoir commandité une profanation de Notre-Dame »

Sous le titre « Le Vietcong au sommet de Notre-Dame », trois activistes suisses de la solidarité avec le peuple vietnamien, Bernard Bachelard, Noé Graff et Olivier Parriaux, ont publié, aux Éditions Favre, un ouvrage sur leur action spectaculaire à Paris en 1969, lorsqu’ils avaient déployé un drapeau révolutionnaire sur la cathédrale. Nous publions l’extrait d’un entretien mené par nos camarades de solidaritéS.

Quelle était votre intention en ­rédigeant ce livre ?

Pourquoi nous racontons-nous un demi-siècle plus tard ? Le déclic pour nous fut le tragique incendie de Notre-Dame de 2019. Facile à dire pourquoi nous y sommes allés, mais pas facile de dire pour quoi, question que nous nous posons aujourd’hui encore, que nous avons travaillée ces trois dernières années et qui tient dans un bref titre intelligemment provocateur de The Economist « Vietnam : America lost, capitalism won ».

Autre incitation : trois jours après l’incendie, le Nhân Dân, organe officiel du PC vietnamien et du ministère de la Défense, affirma que la présence de la bannière du Front national de libération (FNL) au sommet de Notre-Dame figurait sans conteste dans la liste des événements majeurs vécus par l’édifice dans son Histoire pluriséculaire. Nous étions loin de prétendre cela, mais l’idée est pertinente.

Votre action sur la flèche de Notre-Dame a-t-elle eu un écho dans le mouvement antiguerre à l’époque ?

L’action eut un large écho dans la presse française, y compris dans le Monde qui publia notre communiqué anonyme, puis une diatribe du pouvoir de Saïgon qui accusa le FNL d’avoir commandité une profanation de Notre-Dame, ce que le FNL démentit catégoriquement, appuyé par l’évêque qui précisa que seul l’intérieur de la cathédrale était sacré, l’extérieur appartenant à la France. Rien ou presque dans la presse suisse.

Quant à l’écho dans le mouvement antiguerre, nous ne pouvons que faire des déductions, car nous nous sommes abstenus de toute communication ; mais le fait que le syndicat étudiant Unef ainsi que le Comité Vietnam national — organismes incontestablement sérieux — revendiquèrent cet acte implique que celui-ci représentait un véritable potentiel mobilisateur. 

Ce qui nous intéressait plutôt, c’est l’effet dans la négociation à son ouverture, soit la reconnaissance du FNL et la marginalisation du pouvoir de Saïgon. Nous ignorons ce que Kissinger en a pensé, mais nous savons maintenant par le témoignage de survivantEs du FNL et du Nord-Vietnam qu’ielles s’en réjouirent, mais se turent pour ne pas froisser le pays d’accueil. Tout aussi important est l’écho dans le mouvement antiguerre américain qui se rassembla au Capitole pour y accueillir Nixon, le président, à son investiture. Bill Zimmerman, codirigeant du mouvement avec Jane Fonda, se remémore la joie ressentie à la lecture de la une du New York Times qui relate ­l’événement avec photo.

Vos droits d’auteur seront intégralement versés pour soutenir Tran To Nga, une victime combative de « l’agent orange ». Pouvez-vous nous en dire plus sur cet agent et ceux qui l’ont produit ?

« L’agent orange » est un puissant désherbant et défoliant chimique développé et fabriqué par Monsanto. 70 millions de litres furent dispersés sur les forêts et cultures du Sud-Vietnam de 1961 à 1971, premier écocide délibéré de l’histoire. Cet agent, et ses variants, contiennent une forte concentration (50 fois plus élevée que dans le produit à destination agro-­industrielle) de « dioxine de Seveso » très toxique : une cuillère à soupe dans le réseau d’eau potable de Los Angeles provoquerait la mort de toutes et tous ses habitantEs. La dioxine se lie fortement avec des récepteurs intracellulaires du corps humain, altère leur code de production d’enzymes, hormones et protéines, causant des difformités fœtales et maladies chroniques. Aujourd’hui encore, environ 6 000 bébés naissent ­difformes chaque année. 

Tran To Nga était agente de liaison du FNL. Elle fut aspergée, en perdit sa première enfant ; ses deux cadettes gardent comme elle les stigmates de cet empoisonnement. En 2014, elle porta plainte contre Monsanto, Dow Chemical et douze sociétés impliquées dans la fabrication de ces agents. Elle se bat depuis lors avec le soutien d’avocatEs bénévoles contre ces sociétés, armées de bataillons d’avocatEs, usant de toutes les astuces juridiques possibles, comme exiger d’elle la production d’un certificat de travail du FNL… Nous consacrerons l’entièreté de nos droits d’auteur au soutien de sa cause.

Propos recueillis par Daniel Süri

Entretien intégral à lire sur :
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