Préface de Rachida Brahim. Éditions Hors d’atteinte, 2023, 160 pages, 15 euros.
«Après ma tante, il y a eu Bruno, Loïc, Malik, Aïssa, Makomé, Habib, Zyed, Bouna, Lamine, Moushin, Abdelhakim, Gaye, Ali, Wissam, Amine, Nabile, Rémi, Mehdi, Babacar, Adama, Liu, Angelo, Jérôme, Luis, Selom, Matisse, Zineb, Allan, Philippe, Steve, Ibrahima, Cédric, Mohamed, Sabri, Olivio, Souheil, entre autres. Tous ces prénoms me hantent. »
Minutieusement, Jennifer Yezid reconstitue la trame du crime commis en 1973 par un gendarme au cours d’un interrogatoire musclé qu’il fait subir à la petite Malika, 8 ans, pour l’obliger à donner des indications sur son frère qu’ils poursuivent et qui est en train de leur échapper.
L’on suit alors la litanie, bien connue des familles des victimes citées plus haut, des manœuvres visant à innocenter le coupable. Les silences, les mensonges, les déclarations contradictoires, la couverture par l’État et la justice des crimes commis, le non-lieu... L’impunité.
L’autrice nous conduit sur le chemin, balisé par nos morts, du racisme institutionnel, du racisme d’État, du racisme systémique, en prise directe avec la guerre d’Algérie toute proche — nous sommes en 1973 — et la force des pulsions revenchardes et colonialistes.
Sur leurs traces, mémoire vive
Puis Jennifer Yezid, dont la parole est facilitée, ordonnée, rendue possible, par Asya Djoulaït, écrivaine, et Sami Ouchane, historien et sociologue, nous invite à une sorte d’inventaire familial et social des effets catastrophiques de cette affaire sur son histoire, sur l’histoire de sa famille, dont elle est la seule survivante en France. Elle nous donne à voir la naissance de sa parole libre — en phase avec celle de Luca, son enfant — sur les conditions dans lesquelles l’État français a accueilli l’immigration en provenance des colonies, en particulier de l’Algérie.
Conçu comme un « hommage à ceux qui (l)’ont précédée, un don à ceux qui me succèderont », ce livre porte une parole de lutte d’une brûlante actualité.