Film italo-belge, 1 h 47, sorti le 4 mai.
C’est une bien jolie surprise que de voir débarquer sur les écrans un film sur Eleanor Marx, l’une des filles de Karl Marx, et surtout une militante qui a su marquer le mouvement ouvrier.
Dévouement à la cause de l’émancipation ouvrière
Au-delà d’un hommage à cette figure trop souvent laissée dans l’ombre, la réalisatrice italienne Susanna Nicchiarelli nous offre une exploration réussie des tensions auxquelles sont confrontées les femmes dans le mouvement ouvrier. On y trouve une attention bienvenue à la dimension politique des relations intimes, qu’elles soient familiales ou amoureuses.
Le film commence lors de l’enterrement de Karl Marx, alors qu’Eleanor est âgée de 28 ans. On comprend rapidement qu’au-delà de l’amour pour ses parents, son dévouement à la cause de l’émancipation ouvrière lui est chevillé au corps. Son travail militant est la trame du film : enquêtes sur les conditions de travail, discours de mobilisation ou d’éducation, ainsi que tout un travail littéraire sur différents aspects théoriques. La question spécifiquement féministe n’est bien sûr pas oubliée, l’attention donnée aux conditions de vie des femmes ouvrières ou à l’oppression des femmes au sein de la bourgeoisie – via une jolie scène où l’on mesure l’impact des pièces d’Ibsen.
Développement d’une conscience
On comprend aussi qu’Eleanor n’a pas manqué de se rebeller contre ce que son cadre familial pouvait avoir de contraignant – il est fait allusion à sa liaison avec Lissagaray, du vivant et contre l’avis de son père. De même c’est contre l’opinion de la plus grande partie de son entourage qu’elle se lie avec Edward Aveling. Et c’est contre les conventions de l’époque qu’elle vit ouvertement avec lui, alors qu’il n’a pas pu divorcer d’un précédent mariage. Une grande partie du film est consacrée à leur relation, Aveling étant dépeint comme un grand enfant menteur dont Eleanor finit par devenir littéralement l’infirmière. Loin de se borner à un récit apolitique de ses vicissitudes amoureuses, l’accent est mis sur la conscience que développe Eleanor des contradictions que l’inégalité entre hommes et femmes vient planter jusqu’au cœur de la sphère intime. Cet aspect des choses est encore plus appuyé dans une scène dramatique où Engels sur son lit de mort fait une révélation qui ternit l’image qu’Eleanor se faisait de son père. Une scène d’ailleurs historiquement discutable, mais qui a le mérite de souligner qu’on ne peut soustraire à la critique même les militants les plus illustres.
Certes, on pourra regretter la peinture bien sommaire du mouvement ouvrier – le film n’échappe pas au défaut de beaucoup d’autres en le représentant soit par quelques dirigeants, soit par une foule anonyme. Les férus de biographie seront contents de croiser Olive Schreiner, Charles Longuet et Paul Lafargue, mais regretteront peut-être de ne pas voir évoquées d’autres fortes personnalités de l’époque, comme William Morris et Henry Hyndman. Peu importe en somme : le cinéma n’a jamais été le meilleur moyen de dresser un tableau exhaustif d’une vie ou d’une époque. Il peut en revanche explorer des problématiques et donner envie de se pencher plus avant sur la vie et l’œuvre de militantEs. C’est bien le cas ici.