Publié le Samedi 20 décembre 2014 à 07h19.

Télévision : à propos de la série "Un village français"

Les « films de résistance » : du manichéisme patriotique au réalisme historique

Le site Cinetrafic (1) recense 41 films français consacrés à la résistance, mais il y en a certainement bien davantage compte tenu des téléfilms...

Le caractère essentiel de la plus grande partie de ces films est l’idéologie patriotique et manichéiste qu’ils véhiculent. L’archétype des films de la première génération est La bataille du rail de René Clément qui glorifie le combat des cheminots. L’ironie du sort voudra que ce film, sorti en 1946, soit très rapidement retiré des salles car les combattants du Vietminh employaient en Indochine les mêmes méthodes pour faire dérailler les trains…
On chercherait vainement dans les films de cette époque des éléments sur la collaboration, l’antisémitisme, le rôle de la police et de la gendarmerie française. Tout au plus trouve-t-on ici ou là un personnage de traître, comme celui interprété par Serge Reggiani dans Les portes de la nuit de Marcel Carné (1946). Son caractère méprisable et exceptionnel ne fait que valoriser l’héroïsme prêté à l’ensemble de la population. On notera que les cinéastes qui ont travaillé pour la firme allemande Continental sous l’Occupation se recyclent sans complexe, tel Henri Decoin qui réalise La Chatte en 1958 ou Christian Jacques avec Babette s’en va-t-en guerre dont l’héroïne est Brigitte Bardot.

L’arrivée de De Gaulle relance les films de résistance
Après 1958 et le retour de De Gaulle, L’un des produits les plus emblématiques de cette période sera Paris brûle-t-il ? (1966), tourné par René Clément, véritable opération de falsification à la gloire de De Gaulle et même de la police parisienne. On y voit sans doute Rol-Tanguy, chef de l’état-major FFI interprété par Bruno Cremer, mais le spectateur ne saura jamais qu’il était communiste ! Au même registre de la propagande gaulliste, on peut citer L’armée des ombres de Jean-Pierre Melville (1969) où apparaît De Gaulle himself… de dos. Dans ce panorama patriotique, seul Le chagrin et la pitié de Marcel Ophuls fit tache en 1969, mais il s’agit d’un documentaire, qui pour la première fois montre l’ampleur de la collaboration, l’antisémitisme et le rôle de l’État vichyste.
À partir des années 70-80, le cinéma fera un peu plus de place à la réalité de la collaboration, avec par exemple Lacombe Lucien de Louis Malle qui fit scandale en 1974. Le film patriotique pur jus n’était pourtant pas mort, comme le montre la sortie de Lucie Aubrac de Claude Berri en 1996, véritable hagiographie de cette personnalité devenue héroïne officielle. L’armée du crime de Guédiguian innove en 2009 en rendant hommage aux militants du groupe Manouchian de la MOI (Main-d’œuvre immigrée, structure du PC destiné à accueillir les immigrés) qui figurèrent sur la tristement célèbre « Affiche rouge ». Mais, si leur appartenance au PC n’est pas occultée, c’est le patriotisme qui est encore une fois mis en avant, et non leurs aspirations révolutionnaires.

Une révolution culturelle 
Dans ce contexte, la série Un village français – qui nous montre sans fard le comportement de la population d’une petite ville, de ses notables, de sa police, de la Milice et aussi, du moins dans ses premières saisons, s’attarde sur le rôle des communistes, leurs divisions, leurs doutes – fait donc figure de révolution culturelle. Servie par d’excellents acteurs, en dépit de quelques invraisemblances, elle fait date dans le paysage télévisuel. On peut sans doute regretter que les derniers épisodes nous servent parfois quelques scènes qui sentent le déjà vu, voire glissent vers le patriotisme pur et dur. Néanmoins, rendons hommage à l’effort accompli pour s’écarter des mythes et retrouver l’histoire.

Gérard Delteil

1 – http://www.cinetrafic.fr/liste-film/487/1/la-resistance-francaise-sous-l-occupation

“La TV française n’est pas normative en termes de sujet”

Entretien. Le succès de la série Un village français, qui en est à sa sixième saison, ne se dément pas, avec trois à quatre millions de spectateurs. Un succès sans doute lié à la fascination exercée par la période sombre de l’Occupation si souvent édulcorée et instrumentalisée par le cinéma. Nous avons rencontré l’un des scénaristes de cette série, Frédéric Krivine.

Comment travaillez-vous avec les autres scénaristes ?
Je commence par établir les bases de la saison suite à des discussions avec l’historien Jean-Pierre Azema. Puis on travaille en atelier d’écriture pendant trois mois (pour six épisodes) pour développer les histoires. Les auteurs rendent des « séquenciers », continuités non dialoguées, que je retravaille, et enfin, j’écris les dialogues seul depuis trois ans.

Les communistes apparaissent beaucoup dans les premières saisons. On ne les voit presque plus dans la dernière, sinon sous l’apparence d’un bureaucrate stalinien assez déplaisant…
Les communistes sont tout de même assez présents dans la dernière saison, puisque Edmond (le bureaucrate stalinien) est le patron du Comité départemental de libération, et Suzanne, communiste ex-SFIO ayant adhéré en 41, est l’héroïne principale de la saison.

Quelles sont les limites du cahier des charges ?
Nos interlocuteurs de France 3 s’intéressent surtout à la dramatisation, pas tellement au fond politique. On aurait par exemple pu mettre un personnage trotskiste, mais je n’ai pas souhaité le faire car je considérais ce profil comme trop marginal.

Pourrait-on imaginer que soit évoqué à la TV française la fraternisation de soldats allemands avec des militants internationalistes, comme cela s’est passé en Bretagne ?

Cela ne poserait aucun problème à la TV française dans le cadre d’une histoire suffisamment dramatisée. La TV française n’est pas normative en termes de sujet, elle est normative pour ce qui est de la position dans laquelle on met le public par rapport aux personnages.

Propos recueillis par Gérard Delteil