Éditions du Rouergue, 2024, 192 pages, 20 euros.
Le dernier roman de Caroline Hinault plonge ses lecteurEs au cœur de l’ère des murs et des barbelés, aux confins d’une Europe banalement barbare. Elle a reçu le Prix Bretagne 2024.
La forêt Bialowieza
Le cadre du roman : la forêt Bialowieża, dernière forêt primaire d’Europe, à cheval sur la frontière de la Pologne et du Belarus. Grand site du patrimoine mondial, sur la ligne de partage des eaux entre la mer Baltique et la mer Noire, région irremplaçable pour la conservation de la biodiversité accueillant la plus grande population de bisons d’Europe...
Si la biodiversité ne connaît pas de frontières, les populistes polonais et belarusses se chargent d’en ériger ! C’est ainsi qu’un mur de 186 kilomètres a été planté là, au beau milieu de la forêt, par Varsovie fin 2021, afin d’empêcher le passage de migrantEs, illustrant la « crise migratoire » qui a opposé la Pologne et la Biélorussie, quand des milliers d’exiléEs, désireux d’entrer dans l’Union européenne, se sont massés dans la forêt. Bruxelles a alors accusé Minsk d’organiser l’afflux en guise de représailles aux nouvelles sanctions occidentales infligées au pays depuis 2020.
Trois femmes dans le siècle
C’est dans ce contexte dramatique que se situe ce livre sombre, inquiétant mais fascinant, obscur mais lumineux. Caroline Hinault livre aux lecteurEs le portrait en nuances de trois femmes soumises à des contingences qui les dépassent mais auxquelles elles font face avec force et courage. C’est là, dans cette forêt magique, dans cette époque au réalisme cru, que la journaliste Belarusse qui a fui le carcan de la dictature, que la Polonaise déclassée — que la ville, la civilisation et un homme ont reléguée au milieu des bois, chez elle —, que la migrante syrienne qui n’a eu d’autre issue que l’exil et qui a fui avec son frère, se meuvent et affrontent cette époque implacable. Ces trois femmes tissent la corde à trois brins de l’histoire de ce siècle au sein duquel la barbarie n’épargne ni celleux qui fuient la guerre, ni les témoins interdits, ni les victimes de l’oppression ordinaire et domestique.
Des histoires simples, pourrait-on dire, que la plume acérée de Caroline Hinault, trempée à l’encre noire des tendances fascistoïdes de notre siècle, nous jette au visage.
Vincent Gibelin