Publié le Mercredi 23 décembre 2020 à 14h55.

Algues vertes en Bretagne : « Vous n’allez pas, en plus, dire que c’est dangereux ! »

Nous avons rencontré Yves-Marie Le Lay, président de l'association « Sauvegarde du Trégor Goëlo Penthièvre »1 et auteur du livre Algues vertes, un scandale d’État.   

Nous en sommes en décembre 2020. Y a-t-il une actualité des algues vertes en hiver ?

Il y a quelques jours, il y a eu un très gros échouage d'algues vertes à Hillion, dans la baie de Saint-Brieuc. En cette saison, c'est un très mauvais signe qui prouve bien que le problème ne s'arrange pas. On veut nous faire croire que « ça va beaucoup mieux, grâce aux efforts des agriculteurs » (petite chanson du président du conseil régional à la presse), alors qu'ils continuent à autoriser des porcheries et des poulaillers industriels, des unités de méthanisation… À cet égard, le documentaire de France 5 [« Le monde en face - Bretagne, une terre sacrifiée »2] est excellent...

Peux-tu nous dire en quoi consiste l'effet de ces algues vertes ? C'est laid, ça pue, mais encore ?

Ça fait 50 ans qu'on a des algues vertes en Bretagne, et pendant très longtemps on en est resté à la surface des choses, à ce que l'on voit et ce que l'on sent. Un jour, en rentrant d'une réunion, je me suis posé des questions et je suis allé voir ça de plus près sur une plage de la Granville, à Hillion... J'ai failli crever, au bout de quelques minutes, j'étais sonné... Je me suis dit que c'était peut-être dangereux... À la suite de cela, nous avons systématiquement entrepris de mettre en évidence les différents effets des algues vertes, en prenant soin à chaque fois de réunir des preuves et des avis scientifiques. En résumé : fraîches, les algues vertes favorisent, en les protégeant, la prolifération de bactéries drainées par les cours d'eau et habituellement dégradées par le sel au contact de l'eau de mer ; en décomposition, les algues vertes dégagent des émanations d'hydrogène sulfuré, gaz très dangereux, voire mortel ; de ces amas ruisselle un jus toxique qui infeste la vase en profondeur, ce qui fait que, même quand il n'y a plus d'algues vertes en surface, le danger persiste... De tout cela la preuve est faite : les algues vertes peuvent tuer. La liste commence à être longue : le premier, en 1989, un joggeur, est mort dans la baie de Saint-Michel-en-Grève3. Ensuite, à Hillion, deux chiens, puis plusieurs dizaines de sangliers, des ragondins. Un cheval à Saint-Michel, dont le cavalier a réchappé de peu, un ramasseur d'algues, à Binic, Thierry Morfoisse, et le dernier en date, un joggeur de Hillion, Jean-René Auffray, sportif de haut niveau. Bien sûr, les autorités cultivent le déni : « Arrêtez, monsieur Le Lay », m'a dit un jour le sous préfet. « Il ne faut pas en rajouter... Vous n'allez pas, en plus, dire que c'est dangereux ! »

Peut-on parler d'écocide ?

Reprenons : c'est moche, ça pue, ça peut tuer... alors, comment la vie pourrait-elle continuer là ? L'estuaire du Gouessant fait partie d'une réserve naturelle... Pourtant, rien qu’en traversant le cours vaseux de la rivière, Jean-René Auffray est mort, au même endroit, on l'a vu, que des dizaines de mammifères. Quel organisme pourrait survivre là ? Il n'y a plus d'oiseaux sur les rives, et la vase affiche une couleur sombre. Il s'en dégage des émanations, quand on creuse, pouvant dépasser les 1000 ppm (particules par million) d'un gaz qui peut tuer à cette dose. Alors maintenant, nous allons entreprendre des relevés et des analyses des boues pour montrer de façon scientifique que les algues vertes détruisent la biodiversité, et nous déposons un recours contre le préfet du 22, pour écocide dans la réserve naturelle de la baie de Saint-Brieuc, appuyé par une pétition en ligne4

Techniquement, ça vient comment les algues vertes ?

C'est très simple. L'ulve est un végétal. Pour croître, elle a besoin de lumière et de chaleur, donc elle se développe dans de grandes baies sableuses peu profondes, plutôt en été et au printemps. Il lui faut également des nutriments, du phosphate et de l'azote. C'est une espèce très opportuniste, prête à exploiter tout déséquilibre. Un excédent d'azote peut entraîner sa prolifération. Tout est dit. L'azote, très soluble, vient à la mer par les cours d'eau, via le ruissellement provenant des champs. Ceux-ci sont saturés de déjections animales, en très large excédent, provenant de l'élevage industriel dont les animaux sont gavés de soja et de maïs importés des USA et du Brésil. Les pauvres bêtes chient tout ça, qui est déversé sur la terre par épandage. L'absence de talus accélère le processus car rien ne vient retenir le ruissellement... Il y a 3 millions d'habitants en Bretagne. Si l'on convertit l'ensemble des animaux des élevages de Bretagne en équivalent/humain, on passe à 50 millions... Pour les 3 millions, il y a les stations d'épuration. Pour les autres...  

On sait ce qu'il faut faire pour s'en défaire ?

Oui. Il faudrait « multiplier les Plancoët »5 ! En France, la potabilité de l'eau des cours d'eau suppose une teneur en azote limitée à 49 mg par litre (après une longue lutte des associations pour la reconquête de l'eau potable). La norme européenne est de 25 mg... Mais pour pouvoir vendre de l'eau de source, c'est zéro ! Le cas de Plancoët, à 40 km de Saint-Brieuc, montre que quand on veut (quand il y a de l'argent à gagner !) on sait faire ! Pour en finir avec la prolifération des algues vertes, il faudrait être sous les 10 mg, aux environ de 5 mg ce serait mieux... Pour cela, il faut, dans les bassins versants, préserver les zones humides, les zones boisées, et sur les terres limiter de façon drastique les épandages, en finir avec la culture du maïs. Il suffirait, dans un premier temps, d'imposer ces mesures au niveau des huit baies affectées par les algues vertes. Or les mesures préconisées pour l'agriculture dans les plans algues vertes le sont dans le cadre du volontariat. Ça ne peut donc pas marcher ! 

Pourquoi on ne le fait pas ?

Au nom de l'emploi, ils disent ! Avec ça, ils justifient tout ! Il faudrait, « au nom de l'emploi » dans l'agro industrie en Bretagne, sacrifier la région. C'est une logique stupide, qui fait qu'on ne discute pas de quels emplois on a besoin en Bretagne, que l'on en reste au fameux modèle agricole breton, mis en œuvre après guerre, soi-disant pour « nourrir le monde » ! Ce modèle enferme les paysans dans des prêts bancaires dont ils ne peuvent plus sortir. De tout l'argent qu'ils brassent ils n'en tirent qu'un maigre revenu une fois remboursées les banques et les coopératives. Sauf les plus gros, ils peinent à survivre dans ce système qui vise à faire du fric, avec des élus qui s’aplatissent devant les coopératives agricoles, devant la FNSEA, au service des capitaux de l'agro-industrie.

La solution est donc politique ?

Oui, il faudrait qu'une décision politique s'impose, fixant des obligations, proposant d'accompagner les agriculteurs des zones concernées dans la modification de leurs pratiques, encadrés par des experts indépendants de l'INRA (au lieu de ceux des chambres d'agriculture !). Expérimenter, mettre en place des pratiques différentes, sortir du hors sol. Faire participer les agriculteurs à l'élaboration, à la décision, au contrôle. Voir ce qui marche, le transposer ailleurs. Garantir le revenu des agriculteurs : si ça ne rapporte pas assez, on assure des compensations financières, si ça rapporte plus, les agriculteurs gardent le surplus. Cela permettrait de libérer les agriculteurs de la tutelle de l’agro-capitalisme. Cela pourrait être la première phase de la mise en place d'un autre système agricole, qui cesserait de considérer la Bretagne comme un territoire sacrifié !

Les « politiques » en sont capables ?

Si on parle du personnel politique en place, clairement, c'est non ! Ce petit monde de la politique entre soi et pour soi doit être congédié par les électrices et électeurs ! Celles et ceux qui gouvernent la région, les grandes villes et les départements bretons, la plupart sont au PS et à LR, ont fait la preuve de leur collusion avec ce système. Ils ne feront jamais les transformations nécessaires. On ne peut absolument plus leur faire confiance. Le problème, c'est que très peu d'élus, de partis, osent prendre position clairement sur ce dossier. Dans les associations, on n'est pas tous d'accord là-dessus, mais il me semble que le politique devrait venir en relais de l'action de terrain, alors, comme c'est bientôt les régionales, si une liste me proposait d'en être pour défendre ce programme, pourquoi pas ? 

Donc la lutte continue !

D'une part, nous continuons nos actions sur le plan juridique. D'autre part, la sortie de mon livre doit servir à cela : nous allons continuer à populariser notre mobilisation, à faire connaître le problème ailleurs que dans nos baies, à essayer d'ouvrir notre lutte à des générations nouvelles, car le milieu associatif environnemental n'échappe pas au vieillissement des équipes militantes.  

Propos recueillis par Vincent (Rennes)