Entretien avec Matthieu Guillemot, restaurateur et ancien conseiller municipal à Carhaix (Finistère). Cet entretien a été réalisé avant que Matthieu ne reçoive une convocation par la gendarmerie, le mercredi 7 avril, pour être entendu comme témoin dans l’affaire de la tentative d’incendie de la maison de Richard Ferrand à Motreff le 8 février 2019. Une scandaleuse tentative d’intimidation sur laquelle nous aurons l’occasion de revenir.
Depuis un an, combien de jours de fermeture administrative ? Et que signifie cette mesure ?
Privés de notre outil de travail, il nous fallait garder un moyen de communication afin de rester en contact avec notre clientèle. Nous avons décidé de comptabiliser, sur notre page Facebook, le nombre de jours de fermeture administrative que l’on nous impose. Donc aujourd’hui, jeudi 1er avril, nous sommes au 232e jour de fermeture imposée.
Nous sommes un couple qui gérons un petit restaurant avec deux salariés. La fermeture administrative nous impose donc de baisser le rideau et de ne plus mettre un euro en caisse. Les deux salariés de notre restaurant bénéficient du chômage partiel à hauteur de 84 % de leur salaire net. Reste à assumer, pour nous, les cotisations sociales, la prise en charge des congés payés, les taxes d’apprentissage sur les salaires et taxes de formation (FAFIH). Ce à quoi il faut ajouter l’ensemble des charges fixes : loyer, eau, électricité, gaz ainsi que l’ensemble des contrats annuels comme la location du TPE et les frais courants des services bancaires, les services antiparasitaires, les contrats d’assurance, de maintenance de la caisse enregistreuse, etc. Il nous reste donc trop peu de trésorerie pour nous octroyer le moindre salaire.
Comment un restaurant indépendant comme le vôtre fait-il face ? Peut-on dire que les « aides » gouvernementales permettent de tenir ?
Il faut savoir que, lors du premier confinement (du 15 mars au 2 juin), l’État a seulement pris en charge les 84 % du salaire net des deux salariés et donné une aide de 1 500 euros chaque mois à l’entreprise. Étant salarié gérant, je cotise ainsi que l’entreprise aux cotisations sociales mais ce statut m’interdit d’accéder au chômage partiel. Idem pour ma conjointe qui a le statut de gérante. Du jour au lendemain, nous n’avions plus de salaire. Et aucun droit tel que chômage partiel pour garde d’enfants…
Ces « aides » ont été débloquées deux mois après la fermeture, nous imposant d’utiliser notre propre trésorerie. Mais les 1 500 euros d’aide d’État ne couvrent pas la totalité de notre loyer. C’est à ce moment que le gouvernement a sorti le PGE (Prêt garanti par l’État) de son chapeau.
Compte tenu de l’énorme détresse des petits gérants du secteur de l’hôtellerie, lors du deuxième confinement (du 29 octobre à ce jour), l’État a débloqué une aide mensuelle de 10 000 euros (sous conditions d’éligibilité). Lorsque l’on liste le montant des dépenses sans pouvoir apporter un euro en caisse, autant vous dire que les « aides » peuvent se résumer à un pansement sur une jambe de bois. Pour certains, il y avait le « à emporter » pour essayer de survivre. Mais cette formule ne peut s’appliquer à l’ensemble de la profession.
La communication gouvernementale voulant mettre les petits commerçants dans la case des privilégiés grâce aux « aides » octroyées est imbuvable et insupportable. Nous cataloguer de non-essentiel, et peu importe que cela vienne du langage administratif, ce terme n’aurait jamais dû être repris par les politiques. C’est méprisant. En même temps cela nous montre un choix de société pour leur monde d’après. Qu’est-ce qui est non-essentiel ? Les lieux de convivialité, la culture, les loisirs, le sport ! Qu’est ce qui est essentiel ? Le travail, l’argent, la guerre et le transport pour aller au travail !
Le 17 novembre dernier, dans le Morbihan, une restauratrice s’est suicidée, ce n’est pas la première malheureusement, mais ça m’a retourné le ventre d’apprendre ça. Elle s’était endettée pour reprendre le restaurant de ses parents avant la pandémie. Très rapidement, n’ayant pas eu la possibilité de se créer une trésorerie, elle n’est plus arrivée à avancer les salaires des salariéEs et elle a vu l’entreprise familiale s’écrouler. Forcément on se projette un peu dans son histoire.
Pourrais-tu revenir sur les conséquences du Prêt garanti par l’État (PGE) présenté comme la bouée de secours généreusement octroyée ?
Le PGE est vraiment l’arnaque du siècle. Profitant de la peur des petits de mettre la clef sous la porte et ne voulant pas assumer la responsabilité de ces fermetures, le gouvernement sort de son chapeau le Prêt garanti par l’État, afin de faire payer la crise sanitaire à ceux qui la subissent.
Si vous contractez un PGE, vous ne connaissez pas le taux d’intérêt ! Vous contractez un prêt pour payer vos factures sans savoir quand et comment vous allez rouvrir. Le gouvernement propose également des reports de charges. En clair, pour ceux qui ont choisi ces deux options, vous allez rouvrir avec une demi- salle de restaurant (suivant le protocole sanitaire appliqué) avec un prêt à taux inconnu sur le dos, auquel il faudra additionner le doublement des charges. Les seuls gagnants seront une fois encore les banques qui auront multiplié les prêts avec l’assurance de se faire la marge qu’ils veulent en allant se servir dans les caisses de l’État.
Autre grand gagnant de cette crise sanitaire, les groupes d’assurance qui assurent la perte d’exploitation en cas de fermeture administrative sauf... pour pandémie. Axa assurance peut donc continuer à engraisser ses actionnaires et contraindre la petite boulangerie, le petit restaurant ou le petit bar à baisser définitivement le rideau sans lui verser un rond.
Lorsque le gouvernement appelait à la solidarité nationale pour faire face à cette crise sanitaire majeure, il aurait dû préciser que cette solidarité ne s’appliquerait qu’entre pauvres. Pour eux, demander aux retraitéEs de confectionner des masques que l’État ne peut ou ne veut pas fournir c’est oui, mais prendre l’argent dans les poches des puissants, c’est non.
Quels sont les moyens de résistance, de lutte face à la situation que vous subissez ?
Je fais partie d’un groupe de restaurateurEs associés pour assigner nos compagnies d’assurance au tribunal afin d’obtenir une perte d’exploitation. La démarche est en cours.
Gare à celle ou celui qui sort des rangs du silence. Le 11 décembre dernier, Richard Ferrand, président de l’Assemblée nationale, Philippe Mahé, préfet du Finistère, et Léa Poplin, sous-préfète de Châteaulin, étaient en visite à Carhaix. À ce moment-là, depuis quatre mois, ma compagne et moi n’avions plus de salaire. J’avais donc envie d’expliquer la situation aux élus et aux représentants du gouvernement. Et notamment cette question : ont-ils perdu, eux, un seul euro depuis le début de la crise ? La réponse est venue quelques mois plus tard avec l’augmentation de 3 000 euros des enveloppes aux parlementaires. Ils prennent des décisions, mais c’est nous qui payons l’addition… Ce jour-là, le ton est monté dans l’échange avec la sous-préfète de Châteaulin. Je l’avais déjà rencontrée lors d’une réunion organisée par la chambre de commerce dont l’objet était : « Comment faire face à la crise ». Je l’avais questionnée sur les décisions incohérentes du gouvernement et j’avais trouvé ses réponses tout aussi incohérentes. Cette fois-là, j’avais trouvé son attitude désinvolte. J’avais parlé fort, mais sans insulter personne. Et, surtout, je n’avais pas échangé avec le préfet.
Mais début janvier, j’ai reçu une lettre du préfet « Vous avez attiré mon attention, dans des termes déplacés et intolérables, que je n’accepterai plus, sur la situation financière de votre entreprise de restauration… » Il énumérait ensuite la liste des mesures gouvernementales.
J’aurais préféré un peu d’empathie plutôt que ces menaces !
C’est l’expression locale d’une politique nationale où tout se durcit, où pas une tête ne doit dépasser. On le voit avec le projet de nouvelle loi sur la sécurité publique. C’est une véritable justice de classe. Les gens modestes n’ont plus le droit que de se taire, sinon c’est le coup de bâton. J’ai juste voulu dire que nous sommes en difficulté et que nous voulons juste « travailler et vivre au pays ».