Publié le Samedi 18 juin 2016 à 10h29.

La grève générale de mai-juin 1936

A l’heure où gouvernants et patrons essaient de casser le code du travail et ainsi de remettre en cause les quelques lois favorables aux salariés, il est bon de se souvenir que celles-ci ne sont pas tombées du ciel, ni du bon vouloir patronal, ni de quelque négociation autour d’un tapis vert, mais bien de luttes déterminées et longues des travailleurs. Qui aboutirent en mai-juin 1936 à une grève générale, à l’issue de laquelle les travailleurs ont notamment gagné des protections collectives sur lesquelles patronat et gouvernement essaient de revenir aujourd’hui.

Ce qui tend à prouver que sous le régime capitaliste, toute victoire des salariés est provisoire, issue d’un rapport de forces à un moment donné entre travailleurs et patrons, et sans cesse remise en cause. Un éternel recommencement jusqu’à ce qu’une lutte prolongée et déterminée fasse voler en éclats toute l’organisation sociale capitaliste au seul service des patrons. 

Cette question était contenue en germe dans le grand mouvement social de mai-juin 36. Des grèves ? Non, « la grève », commentait Trotsky de son exil norvégien en 1936. Comment cette vague de grèves a-t-elle déferlé, quelle était l’articulation entre le gouvernement de Front populaire et les masses en mouvement, et quels en ont finalement été les bénéfices retirés ? 

 

La crise et les premières manifestations

Au début des années trente, le pays est encore largement paysan. Le développement industriel date des premières décennies du 20e siècle, entraînant de nouvelles concentrations de salariés dans des secteurs comme la métallurgie ou la chimie. Depuis 1931, avec deux années de retard par rapport au déclenchement de la crise de 1929 aux Etats Unis, la France subit une grave crise économique, avec son cortège de chômage et de misère. Celle-ci frappe bien entendu la classe ouvrière, mais également les couches moyennes, les paysans, qui perdent confiance en leurs dirigeants habituels. Leur représentation de l’époque, le Parti radical, est de plus usé par des scandales financiers à répétition, comme l’affaire Stavisky qui éclabousse plusieurs ministres. Le contexte international est important : l’Italie puis l’Allemagne se sont tournées vers le fascisme. En France, on assiste dans le même temps à une montée en puissance des ligues fascistes, Croix de feu et Action française.  

Le point de départ de la grande vague de grèves se situe le 6 février 1934, lorsqu’un cortège des ligues fascistes se dirige vers l’Assemblée nationale dans le but de renverser le gouvernement. Les affrontements avec la police font 14 morts et des centaines de blessés. L’émeute échoue, à cause d’une part de la division des ligues, mais aussi du fait qu’elles n’ont pas, comme en Italie et en Allemagne, l’appui total de la grande bourgeoisie. La bourgeoisie française a en effet réussi à maintenir ses profits et le mouvement ouvrier ne représente alors pas pour elle un danger immédiat. Elle subventionne toutefois les ligues comme contrepoids politique aux partis et syndicats ouvriers. Et puis, surtout, il y aura la formidable réaction ouvrière.

Le 9 février, le Parti communiste1 organise une manifestation, où il y a six morts. Le 12 février, la CGT appelle à une grève générale, à laquelle la CGTU2 se rallie. Immense succès, 30 000 grévistes à la Poste sur 31 000 postiers, par exemple. Pas de journaux, peu de transports en commun. Et cette image très connue des événements : le 12 février après-midi, les deux cortèges syndicaux, CGT et CGTU, se rejoignent aux cris de « unité, unité ». 

Le 14 juillet 1935, à Paris, une immense manifestation regroupe 500 000 personnes, ce qui est gigantesque à l’époque. Partout en France, d’importantes manifestations ont lieu. Les organisateurs, le comité international contre la guerre et le fascisme, prend le nom de « comité national de rassemblement populaire » et rédige un programme électoral. Ce sera celui du Front populaire.

 

Le mouvement ouvrier

Il est divisé avant 1936. PC et PS (la « SFIO », pour section française de l’Internationale ouvrière) sont concurrents et ennemis, le PC suivant la ligne de l’Internationale communiste qui refuse toute alliance avec les partis socialistes, qualifiés par elle de « social-fascistes ». Les mêmes divisions existent dans le mouvement syndical, entre la CGT (socialiste) et la CGTU, liée au PC. Deux facteurs vont contribuer à le réunifier : d’une part, la nécessité nouvelle pour Staline de s’allier aux démocraties contre le fascisme, d’autre part, une formidable poussée ouvrière contre les ligues fascistes françaises.

Les syndicats, quant à eux, ne sont pas à l’époque tolérés par les patrons, qui se voient en maîtres absolus. Dans les faits les militants, pourchassés et licenciés, sont peu nombreux dans les usines. Ce qui explique en partie aussi que les syndicats aient eu tant de mal à faire reprendre le travail, ce qu’un de leurs dirigeants fera d’ailleurs remarquer aux représentants des patrons lors des accords Matignon.

 

Les élections et la formation du gouvernement Blum

Depuis octobre 1934, le PC gagne des voix à toutes les élections locales. On assiste alors véritablement à un glissement à gauche. Que fait-il de cette popularité retrouvée ? Il tend la main aux radicaux, en pleine déconfiture électorale, pour former une alliance entre PS, PC et Parti radical. Le PC souhaite un programme très modéré qui n’« effraie » pas les classes moyennes. C’est lui par exemple qui écarte du programme la nationalisation des banques et de la grande industrie ! Son secrétaire général, Maurice Thorez, l’explique : « le rapport des forces de classes est tel que pour la grande majorité des ouvriers (...) le choix n’est pas encore la dictature du prolétariat contre toutes les formes de la dictature bourgeoise, mais le choix entre le fascisme et la démocratie bourgeoise (...) notre parti lutte pour le maintien de la démocratie bourgeoise contre le fascisme. »

Les dirigeants de la SFIO et du PC justifient leur entrée dans un front avec le Parti radical par la nécessité de s’allier aux classes moyennes (petits paysans, petits commerçants, etc.) qui constituaient l’électorat traditionnel de ce parti. Mais, en réalité, comme le disait Trotsky à l’époque, le Parti radical était « l’appareil politique de l’exploitation de la petite-bourgeoisie par l’impérialisme » et « l’aile gauche du capital financier ».

Le Front populaire remporte les élections des 26 avril et 3 mai 1936. Ce n’est pourtant pas un raz-de-marée, plutôt une recomposition à gauche. Le Parti communiste double presque ses voix (passant de 800 000 à 1,5 million, il devance les radicaux) et obtient 72 députés au lieu des 11 qu’il avait depuis 1932. Le PS reste à peu près stable, le Parti radical est le grand perdant. Le Parti socialiste, au sein de la coalition du Front populaire, est appelé à former un gouvernement.

Le PC soutient sans réserve le gouvernement, mais refuse d’y participer pour ne « pas donner le prétexte aux campagnes de panique et d’affolement des ennemis du peuple ». Jacques Duclos, dirigeant du parti, déclare à la presse qu’il « respectera la propriété privée ». Ce que Trotsky traduit ainsi : « nous sommes des révolutionnaires trop terribles, disent Cachin et Thorez, nos collègues radicaux peuvent mourir d’effroi, il vaut mieux que nous nous tenions à l’écart ». Cette politique de soutien à la bourgeoisie française ne va pas se démentir tout au long des événements de 1936. Le PC fera tout son possible pour que les ouvriers ne posent pas la question du pouvoir et se contentent de revendications économiques. Ayant fait le choix de soutenir la bourgeoisie française comme alliée de l’URSS contre Hitler, il s’y tient contre vents et marées.

 

Les grèves et occupations d’usine

C’est alors que la classe ouvrière entre en jeu, sans même attendre la mise en place du gouvernement, qui prendra un mois. Des aspects spécifiques caractérisent dès le départ cette vague de grèves : elles ne sont issues d’aucun appel central, se développent, obtiennent rapidement satisfaction, puis reprennent. Il s’agit d’une véritable marée de grèves dans tout le pays, accompagnées d’emblée par les occupations des usines.

Aujourd’hui, occuper son usine est devenu en France relativement courant. En 1936 c’est une première, qui se répand comme une traînée de poudre et qui en dit long sur la profondeur et la force du mouvement. Les grévistes occupent pour éviter toute tentative de « lock-out » de la part du patronat et empêcher les « jaunes » de venir faire tourner les usines. C’est leur lieu de travail et de vie, et ils l’utilisent pour s’y réunir, discuter au sein de comités de grève ou faire la fête en famille.  Ces occupations  se déroulent le plus souvent dans une atmosphère de fête, dont la philosophe Simone Weil a laissé une description dans son ouvrage La condition ouvrière : « indépendamment des revendications, cette grève en elle-même est une joie. Une joie pure. » Des pique-niques prolongés sont improvisés dans les cours d’usine, des bals organisés au son de l’accordéon.

L’occupation s’impose aux ouvriers comme la façon la plus naturelle d’affirmer réellement et symboliquement à la fois leur existence et leur force collectives. Cela compte plus que les revendications elles-mêmes et c’est pourquoi ils occupent d’abord leur lieu de travail, en élaborant ensuite le cahier de revendications.

Pour le patronat, ces occupations d’usine constituent une atteinte au droit de propriété et une remise en cause de son autorité. Les occupations font véritablement peur aux patrons. Dès lors, leur préoccupation va être de récupérer leurs usines occupées et ils essaieront d’en faire un préalable aux négociations. On verra que le mouvement était trop déterminé pour que les ouvriers se laissent prendre facilement à ce chantage. Si les revendications ont été si rapidement obtenues, si les « conquêtes » ont été si importantes à ce moment-là, c’est que les patrons, plutôt que de tout perdre, ont préféré lâcher sur des mesures jugées jusque là impossibles à concéder.

 

Et la grève devint générale

Entre avril et mai 1936, le nombre des grèves avait doublé, notamment dans des secteurs du privé où syndicats et partis étaient très peu implantés.

Les premières grèves de mai-juin 36 ont lieu le 11 mai au Havre et à Toulouse. Elles réclament la réintégration de travailleurs qui avaient chômé le 1er mai et été licenciés pour cela. Elles obtiennent satisfaction immédiatement, après une nuit d’occupation.

Puis c’est au tour de l’usine Bloch à Courbevoie, le 14 mai, pour une augmentation des salaires. Les ouvriers y passent la nuit, ravitaillés par la municipalité de Front populaire. Là aussi, la victoire est rapide. Jusque là, la presse n’évoque pas ces grèves. Les premiers commentaires de l’Humanité sur la grève du Havre ne paraissent que le 20 mai, et il faut attendre le 24 mai, écrit Daniel Guérin, pour que l’organe communiste rapproche les trois conflits et attire l’attention des militants ouvriers sur les succès remportés et les méthodes de lutte qui ont permis la victoire.

Le 24 mai, une manifestation est convoquée pour commémorer la Commune de Paris : plus de 600 000 personnes devant le Mur des fédérés, où Blum et Thorez se tiennent côte à côte. Du jamais vu. 

Puis les grèves éclatent dans la métallurgie parisienne. Les revendications : garantie d’un minimum de salaire journalier, reconnaissance de délégués désignés par les seuls salariés, suppression des heures supplémentaires et la semaine de 40 heures.

Le 28 mai est une journée décisive avec l’entrée en grève des 35 000 ouvriers des usines Renault, entraînant à leur suite nombre d’établissements des alentours.  Des comités de grève sont mis en place pour assurer la sécurité, le ravitaillement, et la presse souligne l’ordre parfait qui règne dans ces usines.

Loin de pousser à la roue, les leaders communistes et syndicalistes tentent par tous les moyens de calmer le jeu. Ambroise Croizat, secrétaire général de la CGT métallurgie et dirigeant communiste, déclare : « le mouvement de grève de la métallurgie peut très rapidement se calmer, si, du côté patronal, on est disposé à faire droit aux légitimes et raisonnables revendications ouvrières. »

Le recours aux forces de répression est envisagé pour évacuer les usines, mais les patrons estiment que du sang coulerait et que cela pourrait rendre plus difficile le rétablissement de leur autorité.

A la fin du mois, le mouvement semble se calmer avec l’arrêt de l’occupation à Renault, suite à des négociations sur l’établissement de contrats collectifs, le relèvement des salaires, la suppression des heures supplémentaires, pas de sanctions pour fait de grève. A la suite de Renault, de nombreuses entreprises sont évacuées. 

Mais le 2 juin, brusque reprise des grèves. Entreprises chimiques, textile, alimentation, transports et pétrole sont touchés, mais aussi des usines métallurgiques qui se mettent en grève pour la deuxième fois. Malgré des appels répétés des syndicats et des partis à la reprise du travail, la grève s’étend encore le 4 juin, avec l’entrée en scène des camionneurs, restaurants, hôtels, ouvriers du Livre, partout en France.

Le 4 juin, un mois après les élections, Blum arrive finalement au gouvernement. Le thème de son allocution du 5 juin est que les lois sociales promises vont être rapidement votées. Il espère bien que cela suffira à calmer les choses.

Mais c’est le contraire qui se produit : la majorité des usines qui avaient repris le travail les premiers jours de juin se remettent en grève. Le 5, c’est au tour des grands magasins et des services publics. Les dirigeants syndicaux sont dépassés par le mouvement. Ils tentent alors, en appelant à la grève générale, de se mettre à la tête du mouvement.

 

Les accords Matignon et l’approfondissement de la grève

Les 7 et 8 juin, le patronat prend contact avec Blum pour discuter du relèvement général des salaires en contrepartie des évacuations d’usines. Les patrons sait que pour sauver l’essentiel, c’est à dire la propriété de leurs usines, il leur faut savoir céder sur l’accessoire, c’est-à-dire tout ce qui ne porte pas atteinte au régime de propriété.

Les accords Matignon sont signés, transcription d’un certain rapport de forces entre les classes sociales. Le patronat accepte l’établissement immédiat de contrats collectifs de travail, la liberté syndicale et l’élection de délégués, le réajustement des salaires de 7 à 15 %. Son but : faire cesser la lutte ouvrière. Le lendemain, tous les journaux ouvriers titrent sur la victoire, tel Le Populaire, journal socialiste : « Une victoire ? Mieux, un triomphe ! » ; ou encore L’Humanité : « La victoire est acquise ». Les syndicalistes tentent de faire reprendre le travail partout où le patron accepte d’entamer la négociation.

Mais les travailleurs ne l’entendent pas de cette oreille : du 7 au 12 juin, les grèves s’étendent à une telle rapidité que Trotsky peut écrire le 9 juin : « La révolution française a commencé ». Dans le même temps, le journal conservateur L’Echo de Paris titre : « Paris a le sentiment très net qu’une révolution a commencé ».

700 délégués métallos réunis en assemblée générale refusent d’appliquer l’accord Matignon présenté par leur syndicat. Ils adoptent une résolution : « les délégués, tenant compte des conditions particulières de la région parisienne, des taux anormalement bas payés dans de nombreuses usines, ne peuvent accepter l’application de l’accord sans réajustement préalable et sérieux des salaires », donnent pour cela un délai de 48 heures aux patrons, demandent la nationalisation des usines de guerre et de celles travaillant pour l’Etat.

Le 8 juin, la grève est totale dans les grands magasins et les sociétés d’assurance. Le 11 juin, on comptabilise deux millions de grévistes.

 

Vote des lois sociales

Le gouvernement fait alors voter à toute hâte les lois sociales : 40 heures, congés payés et contrats collectifs.

Les dirigeants communistes et syndicalistes pèsent de tout leur poids pour la reprise du travail. Devant le caractère révolutionnaire du mouvement, Thorez déclare « il faut savoir terminer une grève dès lors que satisfaction a été obtenue » et « il n’est pas question de prendre le pouvoir actuellement ».

A partir du 12-13 juin, c’est l’apaisement. Le 12 juin, les premières conventions collectives sont signées.

 

Les leçons du mouvement

On retient le plus souvent de cette période les acquis sociaux tels que les 40 heures, les congés payés, les conventions collectives, les délégués du personnel, ou encore les fortes augmentations de salaire. Ce sont des gains importants, qui ont changé globalement la vie dans les usines et mis un frein à la toute puissance des patrons. Ils ont été permis grâce à la formidable mobilisation des ouvriers. Il faut rappeler que ces conquêtes n’étaient pas inscrites dans le programme du Front populaire, et que le seul rôle du gouvernement de gauche a été de servir d’intermédiaire  pour faire reprendre le travail.

On retient aussi l’extraordinaire profondeur du mouvement, qui a traversé toutes les couches de la classe ouvrière. Des catégories comme les garçons de café, les ouvrières des grands magasins, étaient en grève pour leur dignité. Il est remarquable que toutes les usines aient voulu à un moment ou à un autre faire l’expérience de la grève, et que même lorsque les revendications étaient satisfaites, tout le monde voulait faire cette expérience de dignité, notait un observateur. On retient aussi le caractère joyeux des occupations, où les ouvriers, leurs familles, la population du quartier faisaient l’expérience de se sentir chez eux sur leur lieu de travail.

Ce qui est moins discuté, c’est l’occasion manquée de changer la société de fond en comble, que la société paiera très cher dans les années suivantes, avec la Deuxième Guerre mondiale. Les patrons avaient compris le danger, en cédant rapidement sur nombre de revendications afin de conserver l’essentiel. Les ouvriers, qui avaient créé partout des comités de grève, étaient loin d’obéir au doigt et à l’œil aux consignes syndicales. Mais les partis dirigeants, notamment le Parti communiste, avaient appliqué la politique de Staline consistant à ne pas faire de vagues dans les « démocraties » et, en conséquence, tout fait pour que le mouvement reste dans des limites revendicatives.

C’est ce qui s’est finalement passé. D’où la nécessité, toujours aussi actuelle, d’envisager un mai-juin 36 qui aille jusqu’au bout !

 

Régine Vinon

 

L’URSS et les PC en 1928-1939 : une politique de zigzags bureaucratiques

 

1928-1934 : la troisième période

La direction stalinienne de l’URSS était exclusivement préoccupée de sa survie. Sa politique extérieure, à travers l’Internationale communiste qui avait une énorme emprise sur les partis communistes, n’était déterminée que par ses intérêts propres. Cela explique la succession de zigzags qui, sans ce facteur, seraient difficilement compréhensibles.

Après la défaite de la révolution chinoise en 1927, due en partie à son orientation, la politique de la bureaucratie dirigeante de l’URSS a consisté en ce qu’on a appelé la ligne « classe contre classe » ou de la « troisième période ». Les différents partis communistes désignaient alors les socialistes comme leurs ennemis principaux (« social-fascistes »), avec les terribles conséquences que l’on a vues en Allemagne face à la montée du nazisme.

 

1934-1938 : les fronts populaires

Devant la menace de plus en plus nette qu’Hitler représentait pour l’URSS, Staline a alors effectué un tournant brusque. Ayant besoin de trouver des alliés parmi les gouvernements occidentaux, il donna de nouvelles consignes aux partis communistes, les engageant à se rapprocher de leur propre bourgeoisie. La ligne du PC français devint alors celle du « front populaire » et de la défense de la France. Dès juillet 1934, un pacte d’union était signé entre le PS et le PC. En mai 1935, les gouvernements français et soviétique signaient quant à eux un traité d’assistance mutuelle. Dès ce moment, la Marseillaise trouva sa place à côté de l’Internationale. Et Thorez, le dirigeant du PC français, se mit à parler de peuple au lieu de travailleurs.

 

1939 : le pacte germano soviétique

Après les accords signés en 1938, à Munich, entre la France et l’Angleterre d’une part, Hitler et Mussolini de l’autre, Staline eut peur de se voir attaqué par l’Allemagne, alors que son armée était complètement désorganisée suite aux purges massives qu’il y avait effectuées de 1936 à 1939. Il signa donc un pacte avec l’Allemagne nazie en août 1939, espérant ainsi gagner du temps (et se partageant la Pologne avec Hitler). En juin 1941, l’Allemagne nazie rompait cet accord en envahissant l’URSS.

 

Le Front populaire et les femmes

Le Parti communiste avait dès sa fondation mis l’accent sur le droit des femmes dès sa fondation : en 1922, il présenta une femme lors d’une élection municipale ; en 1925, dix femmes furent élues puis invalidées par les tribunaux. 

Mais à partir de 1934, lorsque le PC engagea son virage vers l’alliance avec sa bourgeoisie, bien des aspects de l’ancien programme furent écartés. Les dirigeants mirent alors l’accent sur la défense de la famille française et du natalisme, de la même façon qu’ils mirent en avant le drapeau bleu-blanc-rouge et la Marseillaise.

En fait, le Front populaire n’apporta aucune amélioration à la condition des femmes.

Jamais la revendication « à travail égal, salaire égal » ne fut mise en avant. Quelques femmes eurent des responsabilités au sein de ministères, dans des sous-secrétariats d’Etat : Irène Joliot-Curie à la recherche scientifique, Cécile Brunschvicg à l’éducation nationale, Suzanne Lacore à la santé publique.

Depuis les années vingt, l’assemblée s’était prononcée à deux reprises pour le droit de vote des femmes, mais le sénat s’y était à chaque fois opposé. Le 30 juillet 1936, a Chambre des députés se prononçait à nouveau en sa faveur, cette fois à l’unanimité de ses 475 membres. Mais le gouvernement s’abstint et le Sénat, tenu par les socialistes et les radicaux, n’inscrivit jamais ce texte à son ordre du jour.

Les femmes françaises devront attendre le 21 avril 1944 pour qu’une ordonnance instaure leur droit de vote, qu’elles exerceront pour la première fois le 29 avril 1945 aux élections municipales, soit près d’un siècle après les hommes qui votent au suffrage universel depuis le 5 mars 1848. Et bien après la majorité des pays européens, et même la Turquie ou les Philippines...

 

A lire sur cette période :

- Jacques Danos et Marcel Gibelin, Juin 36, rééd. Les Bons caractères, Paris, 2006.

- Léon Trotsky, Où va la France ?, rééd. Les Bons caractères, Paris, 2007. 

  • 1. Fondé en 1920 sous le nom de « Parti communiste (SFIC) » [section française de l’Internationale communiste], le PC est devenu officiellement PCF, Parti communiste français, après la dissolution de l’Internationale communiste par Staline, en 1943.
  • 2. Issu d’une scission de la CGT en 1921, dirigée à l’origine par des militants anarchistes, la CGTU est ensuite passée sous la coupe du PC, déjà en voie de stalinisation. La réunification CGT-CGTU est intervenue en mars 1936, à la suite du tournant de la bureaucratie stalinienne vers la politique des fronts populaires.