Omayra Naisseline et Roch Wamytan – l’un des signataires des accords de Nouméa en 1998 – sont tous deux mandatéEs par le dernier congrès du FLNKS (Front de libération nationale kanak et socialiste) pour participer à des discussions avec le ministère des Outre-mer. Ils sont élus, dans la province des Îles et la province du Sud, ainsi qu’au Congrès de la Nouvelle-Calédonie. Rencontre en février sur le plateau de la chaîne l’Anticapitaliste.
Quelle est la situation actuellement en Kanaky plusieurs mois après les révoltes du printemps dernier ?
Omayra Naisseline. Le pays a deux genoux à terre. Un chaos s’est installé depuis le 13 mai. C’est le passage en force du projet de loi constitutionnelle relatif au dégel du corps électoral qui a fait sombrer notre pays dans le chaos. Avant le 13 mai ; le pays connaissait déjà des difficultés financières et budgétaires. Et après le 13 mai, tout s’est accéléré. Donc aujourd’hui, on a à peu près 11 000 chômeurEs. On a un recul de 30 % de notre PIB. Et bien sûr, toutes les conséquences relatives au 13 mai : les prisonnierEs, nos quatorze morts aussi et une économie à terre.
Est-ce qu’on pourrait revenir un peu sur toutes ces 30, 40 dernières années ?
Roch Wamytan. La Nouvelle-Calédonie a été colonisée depuis le 24 septembre 1853. Donc ça fait déjà plus de 171 ans que la France a placé son drapeau. Dès le départ Napoléon III cherchait une terre lointaine pour évacuer son trop-plein de bagnards. Le 24 septembre, l’amiral Febvrier-Despointes est venu de Polynésie française pour l’acte de prise de possession de la Nouvelle-Calédonie. Nous les Kanak, nous vivions là depuis 3 000 ans. On avait une civilisation, c’était une véritable civilisation, la civilisation mélanésienne, océanienne.
La violence était quotidienne non seulement pour les bagnards sur place, mais aussi pour les Kanak puisque nous avons été confrontéEs à cette colonisation, à ce conflit permanent avec les forces coloniales françaises. Évidemment, nous nous sommes révoltéEs. Les tribus ont été dispersées.
Ce qui s’est passé le 13 mai dernier se situe dans cette séquence de révoltes face au colonisateur français.
Ils nous ont volé notre pays, il faut qu’on retrouve notre pays. La volonté politique de la France, c’était de faire de la Nouvelle-Calédonie une Suisse du Pacifique. Et d’ailleurs on retrouve des directives, notamment la directive Messmer de 1972 qui va dans ce sens et vise à peupler la Nouvelle-Calédonie.
Nous avons en tout 4 accords. Il y a eu un accord qui été signé en 1983, l’accord de Nainville-les-Roches, puis en 1984-1985, le statut de Fabius-Pisani, ensuite l’accord de Matignon en 1988 et l’accord d’Oudinot. Et ensuite nous avons signé il y a 25 ans maintenant l’accord de Nouméa, qui a donné corps à un processus venu de l’accord de Matignon, c’est-à-dire un processus de décolonisation et d’émancipation de la Nouvelle-Calédonie à partir de la revendication nationaliste du peuple kanak. Tous les systèmes qui ont été mis en place jusqu’à maintenant, ont été détricotés à un moment donné. Nous disons que nous avons été coloniséEs. Nous discutons avec les représentantEs du gouvernement français. C’est ce que nous avons fait là avec Manuel Valls pendant trois bilatérales, et nous allons poursuivre à Nouméa pour rechercher la sortie, pour fermer enfin cette histoire de la colonisation de notre pays.
Pourrais-tu nous expliquer comment se passent les discussions jusqu’à maintenant ?
Omayra Naisseline. La délégation, c’est le chef de la délégation du FLNKS, c’est le député Emmanuel Tjibaou ; les représentants du FLNKS mandatés lors du 44e congrès pour reprendre les discussions avec l’État ; les anciens, M. Wamytan et M. Alosio-Sako ; un membre du gouvernement M. Forrest ; moi-même élue en province des îles au congrès de la Nouvelle-Calédonie et M. Xowie, sénateur. La reprise des discussions s’est faite en format bilatéral, comme demandé par le FLNKS. On a bien rappelé à l’État et au ministre Manuel Valls, que la délégation s’inscrit bien dans le FLNKS, dans le cadre du mouvement de libération et non dans le cadre de groupes institutionnels. Nous nous inscrivons bien avec un mandat du Front de libération. Donc ces bilatérales se sont déroulées rue Oudinot, donc avec le ministre. Nous avons eu trois bilatérales. Au cours de ces bilatérales, on est venu déposer notre panier de discussion au ministre, avec un certain nombre de points qui ont été mis sur la table des discussions, à savoir le contenu des discussions qui vont se poursuivre et qui vont après arriver à la phase de négociations. Le calendrier est clair, puisqu’on a aussi une trajectoire à respecter. Et bien sûr la méthode et le format des négociations qui seront engagées en Kanaky. On a insisté sur ce fait que les négociations doivent se faire chez nous et bien sûr en présence du président du FLNKS. Et donc là, le contenu des discussions a été déposé, sans tabou. On a dit et évoqué tout ce qu’on avait à dire et bien sûr la question des prisonniers politiques. Nous saluons aussi le fait que le ministre est aligné avec nous sur le fait que l’accord de Nouméa reste le plancher et le socle. La base des discussions pour aboutir aux négociations et au futur accord.
Le fait que le ministre semble vouloir revenir aux accords de Nouméa vous paraît une rupture de stratégie de la part de l’État ?
Omayra Naisseline. Oui, bien sûr. D’ailleurs, le ministre l’a dit lui-même et on l’a vu, c’est la rupture avec l’ancien ministre en charge du dossier calédonien. Et aujourd’hui le ministre Valls, qui rappelle quand même que l’accord de Nouméa est le socle, la base de nos discussions pour l’aboutissement du futur accord. C’est quand même quelque chose d’important. Et pour nous, c’est un point important du fait que ça a été rappelé à notre congrès du FLNKS. Maintenant on reste malgré tout vigilants, mais on garde l’espoir qu’on puisse aboutir à un accord qui respecte le droit international. Je rappelle que la Nouvelle-Calédonie est inscrite sur la liste des territoires non autonomes à décoloniser depuis 1986, donc ce processus-là doit aller jusqu’à l’aboutissement de la pleine souveraineté et fermer cette parenthèse coloniale. En 2030, dans cinq ans, ce sera la quatrième décennie pour l’éradication de la colonisation dans le monde. On reste les dernières colonies françaises. Avec le dossier de Kanaky, on espère que le gouvernement, l’État français, la France puisse sortir par le haut avec un accord qui respecte ce droit à l’autodétermination, le droit à la dignité du peuple kanak et le droit international.
Propos recueillis par Nico Dix