Publié le Vendredi 28 février 2014 à 18h39.

« Les enfants de la Creuse » : un « devoir de mémoire » bien tardif !

L’Assemblée nationale vient de voter une résolution mémorielle qui reconnaît la responsabilité de l’État français dans la « déportation » de 1 615 enfants réunionnais, enlevés de leur île entre 1963 et 1982 pour repeupler des départements ruraux de « métropole »...

C’est donc une page sombre et méconnue de notre histoire contemporaine qui a été rouverte ces derniers jours à l’Assemblée nationale via le vote d’une résolution mémorielle adoptée par 125 voix pour et 14 contre. Cette politique avait pour mission de résoudre « le problème démographique et social dans les départements ultramarins en organisant, favorisant et développant la promotion d’une émigration massive vers le territoire métropolitain », selon les termes de la résolution parlementaire. Elle a été initiée par Michel Debré, député de la Réunion et père fondateur de la Ve République, via le Bureau pour le développement des migrations dans les départements d’outre-mer (Bumidom).

Politique post-colonialeL’idée de Michel Debré était simple et mêlée d’une bonne conscience paternaliste tout à fait coloniale : d’un côté, il y avait la Réunion, pauvre et surpeuplée au bord de l’explosion sociale, et de l’autre des départements ruraux français qui se dépeuplaient. Pourquoi ne pas transférer des Réunionnais dans la Creuse, la Lozère ou le Cantal ?Cette politique concerna tout d’abord des adultes, puis très vite Michel Debré donna des directives pour que des mineurs orphelins soient également envoyés en « métropole ». Pour être transférés, ces mineurs devaient être « pupilles d’État », c’est-à-dire que leurs parents (quand ils existaient) devaient renoncer à tout droit sur eux. Pour cela, l’État faisait miroiter à des parents très pauvres des études prestigieuses pour leurs enfants et leur retour à la Réunion une fois par an pour les vacances. Séduits par un avenir radieux pour leurs enfants, les parents signaient, pour ceux et celles qui savaient lire et écrire. Pour les autres, l’empreinte du pouce suffisait. Arrivés à Orly, il n’était plus question d’études prestigieuses mais d’un aller sans retour pour les départements ruraux, des vies broyées. Les enfants étaient plus ou moins mal lotis : adoptés, placés en foyer ou dans des familles d’accueil pour les plus chanceux d’entre eux, envoyés comme main-d’œuvre gratuite proche de l’esclavage dans des fermes, commerces ou chantiers...

Reconnaissance symboliqueC’est en 2002 que cette affaire soigneusement enterrée éclate enfin et fait la une des médias, lorsque Jean-Jacques Martial, ex-pupille déplacé dans la Creuse attaque l’État pour « enlèvement, séquestration de mineurs, rafles et déportation ». Plusieurs plaintes suivent mais toutes échouent. Suite au scandale, plusieurs rapports officiels sont commandés, mais tous nient les faits et disculpent l’État.La résolution votée la semaine dernière à l’Assemblée nationale est donc une première reconnaissance symbolique... mais qui ne donne droit à aucune réparation financière. Mais même dans ce cadre, cette résolution n’a pas fait l’unanimité dans l’hémicycle, puisque le groupe UMP a voté contre !Désormais, comme le préconise la résolution mémorielle, cette page sombre de l’histoire de France doit être connue et transmise. Le minimum que l’État français puisse faire vis-à-vis de ces enfants devenus adultes.

Sandra Demarcq