Parler de la jeunesse constitue d’abord un parti pris. « La jeunesse est donc un âge social – et socialement différencié : les contrastes sociaux interdisent d’évoquer une ‘‘jeunesse’’ au singulier », écrit ainsi Ludovine Bantigny. « Age social », c’est à dire construit, voire inventé, mis en forme, et cela d’abord par les classes dominantes et l’ensemble de leurs relais de la « société civile » au sens d’Antonio Gramsci : institutions scolaires, médias, publicité, lieux de culture, etc.
Celles-ci y mettent leurs intérêts, en valorisant une jeunesse dépolitisée, réceptacle enthousiaste de l’idéologie dominante, et en repoussant dans le même temps « les jeunes » des classes populaires immigrés, teintant l’expression d’une dose de racisme et d’islamophobie.
Mais la définition de ce que doit faire, être et penser la jeunesse ne résulte pas que de cette prise en charge par en haut, qui constitue une caractéristique des Etats modernes. Il s’agit d’un espace de luttes permanentes, malgré des hauts et des bas selon les périodes. L’actuelle est d’abord marquée par un recul général de la combativité chez les jeunes travailleur-se-s, les lycéen-ne-s et les étudiant-e-s, qui tend à laisser le terrain plus libre pour l’idéologie dominante mais aussi pour les variantes les plus réactionnaires.
Tâches préparatoires et poches de radicalité
Mais, d’une part, le spectre somme toute pas si lointain des grandes mobilisations contre le CPE, la LRU ou la réforme Darcos fournit un aliment précieux pour la réflexion, et c’est l’intérêt de l’article de Damien Dhelil de chercher à en tirer quelques leçons. Tisser un fil de continuité politique, construire une mémoire pratique et vivante, constitue ainsi une tâche clé pour les révolutionnaires, d’autant plus dans un milieu dont le fort turn-over facilite la mainmise des appareils et des relais politiques des classes dominantes.
Et, d’autre part, on voit surgir – autour des ZAD, contre les expulsions ou les violences policières, en réaction à la crise budgétaire des universités – des poches nouvelles de radicalité qui remettent en dispute le rapport de la jeunesse à l’ordre existant et le rôle politique qu’elle devrait ou pourrait jouer. Il s’agit là d’une ouverture qu’il faut savoir saisir, malgré sa petite échelle, pour faire dialoguer nos idées avec les résistances actuelles et engager avec celles et ceux qui les portent un dialogue stratégique.
Si « la jeunesse », ici, a pu être globalement passivisée alors que la crise du système capitaliste ébranle tous les discours de justification qui le couvrait, c’est aussi parce que les pôles qui avaient pu y jouer par le passé un rôle d’intellectuel collectif et contestataire sont aujourd’hui largement affaiblis. Réactiver ces forces critiques, et faire du marxisme révolutionnaire un locuteur solide parmi elles, constitue une tâche, par exemple au sein du mouvement étudiant.
Dire que la jeunesse est un spectre, c’est aussi insister sur la peur qu’elle continue à inspirer aux puissants, et sur son potentiel subversif vis-à-vis de leurs constructions politiques. Ces cinq dernières années ont ainsi été marquées par une série de mobilisations à travers le monde, où les jeunes ont pris une part centrale. Ces mouvements ont parfois ébranlé les régimes en place et souvent ouvert des cycles de contestation plus profonde, impactant ainsi la situation internationale.
L’unité, un combat politique et révolutionnaire
Mais si la catégorie « jeunesse » est si malléable, et un peu fantomatique, c’est aussi parce qu’elle recouvre une population objectivement très différenciée. C’est le point de départ de la contribution d’Ugo Palheta, qui revient sur « cette vaste opération de division qui a lieu à la sortie du collège », et qui fait du système scolaire non seulement un outil de formation de la main-d’oeuvre nécessaire aux capitalistes, mais aussi de reproduction de la segmentation et des divisions au sein de cette dernière. Ces disparités internes, dans l’accès aux études mais aussi, en leur sein, aux diplômes, ne font que refléter les différences liées à l’appartenance de classe.
C’est en ce sens que toute description faussement homogénéisante de « la jeunesse » a une portée réactionnaire, et se fait au profit de la défense corporatiste des couches les plus favorisées. Comme l’explique Laura Varlet dans son article, la portée unifiante de notre programme anticapitaliste dans la jeunesse provient, au contraire, de sa prise en compte de cette hétérogénéité comme point de départ, et de son inscription dans le combat plus général contre les classes dominantes.
Nous leur opposons en effet l’accès réellement universel aux études, sans conditions de nationalité et garanti par la gratuité mais aussi par une allocation qui permette de sortir de la dépendance matérielle et morale vis-à-vis des institutions, du patronat (apprentissage) ou des familles. Nous luttons contre toutes les oppressions, le sexisme qui joue un rôle structurant dans le système éducatif, le racisme et la ségrégation qui l’incarne dans un pays impérialiste à l’influence coloniale extrêmement forte et bien défendue jusqu’aujourd’hui.
Ces combats quotidiens sont la condition pour construire non pas une jeunesse homogène – perspective illusoire tant que règneront les rapports de production capitalistes – mais un sujet politique unifié et capable de prendre part à la lutte entre les classes, aux côtés des exploité-e-s et des opprimé-e-s.
Guillaume Loic