Publié le Jeudi 22 décembre 2016 à 15h05.

« On construit beaucoup de “logements à profit”, inaccessibles aux classes populaires »

Entretien. Militant bien connu du mouvement social, Jean-Baptiste Eyraud est le porte-parole de Droit au logement (DAL).

Le récent rapport Carlotti sur le DALO (droit au logement opposable) met notamment en évidence le contraste entre des besoins de plus en plus importants et une application du droit de plus en plus restrictive... Comment l’expliquer ? Que faudrait-il faire ?

Depuis plusieurs années, nous constatons un durcissement des commission départementales DALO  (COMED) à l’égard des mal-logés et des sans-logis, qui voient leurs demandes rejetées, sur des fondements le plus souvent illégaux. Ainsi, les personnes menacées d’expulsion doivent démontrer leur « bonne foi », les sans-abri prouver qu’ils sont à la rue, les mal-logés que leur logement est un taudis… C’est compliqué dans la mesure où ils sont seuls face à ces exigences. On constate aussi des durcissements de la justice : baisse des indemnités versées au demandeur qui n’est pas relogé dans les délais, ou une radiation définitive des DALO qui ont refusé une proposition de relogement.

La loi Égalité et citoyenneté, adoptée définitivement jeudi 22 décembre, prévoit de régionaliser le DALO en Île-de-France sans garde-fou, ce qui peut entraîner des proposition de relogement très éloignées du lieu de vie, une hausse des refus et donc des radiations.

Avant de reloger des Parisiens à Melun, commençons par les DALO de Seine-et-Marne, et construisons des logements sociaux plutôt que des programme immobiliers spéculatifs dans les quartiers et les communes populaires de proche banlieue.

La loi Égalité et citoyenneté prévoit de fixer les loyers HLM en fonction des revenus des locataires. Une fausse bonne idée ?

Le sujet est complexe, car le logement social est soumis aux politiques de rigueur ambiantes (baisse des APL et des aides à la pierre). Nous sommes opposés à une fixation des loyers en fonction du revenu des locataires qui va introduire une division au sein des locataires d’un même bailleur, d’une même cage d’escalier... Les bailleurs sociaux vont privilégier les ménages aux revenus plus élevés, et cela permet à l’État de réduire les APL en faisant payer la part de la solidarité nationale par les locataires.

C’est une lourde attaque contre les fondamentaux du logement social que DAL-HLM, implanté chez une quinzaine de grands organismes HLM et privilégiant l’installation dans les quartiers populaires, ­dénonce et combat sur le terrain.

Même si elle apporte quelques améliorations, le reste de la loi contient d’autres régressions, et n’est de toute façon pas à la hauteur des besoins.

L’utilisation d’un logement en « bon père de famille » ferait l’objet d’une nouvelle interprétation, avec comme prétexte la lutte contre les trafiquants de drogue ?

Effectivement, l’Assemblée a adopté un amendement qui permet au bailleur de mettre fin de plein droit au bail lorsque le locataire, ou une personne qui vit dans le logement, un membre de la famille ou un ami, a été condamné pour « emploi ou acquisition » de stupéfiant, pour un délit commis dans le logement ou le quartier. Le juge n’aura plus d’autre alternative que de prononcer l’expulsion. Cet article très répressif, qui à priori vise les trafiquants, va sanctionner des innocents, par exemple les enfants de la personne condamnée, mais aussi de simples consommateurs, ou des personnes qui ont purgé leur peine et ont cessé depuis longtemps leur trafic.

DAL dénonce la terreur que des trafiquants font régner dans certains quartiers, mais cet amendement, rédigé manifestement sans en mesurer les conséquences, doit être retiré. Voici en tout cas une disposition que ne renierait pas le FN…

Que se passe-t-il dans le foyer de travailleurs migrants Coallia de Boulogne-­Billancourt où, vendredi 16 décembre, un incendie criminel a tué un résident et blessé grièvement plusieurs autres ?

Dans ce foyer de 500 personnes, cet incendie criminel a été provoqué par un mélange d’hydrocarbures et d’accélérateur de feu à 4 heures du matin. L’objectif était de tuer. Les portes toujours ouvertes étaient exceptionnellement fermées. C’est un miracle qu’il n’y ait pas eu plus de victimes.

Sans même se préoccuper des sinistrés ni des victimes, le ministère de l’Intérieur a déclaré que « c’est un foyer qui pose problème, avec activités et restaurants clandestins. L’ambiance y est délétère, avec des rixes entre résidents et des trafics ». Le maire de Boulogne lui a emboîté le pas et a demandé la fermeture du foyer. Pourtant, selon un élu de l’opposition municipale et des témoignages de voisins, ce foyer n’a jamais posé de problème depuis 40 ans !

À l’initiative du DAL, du COPAF (collectif pour l’avenir des foyers) et de Droits devant, nous avons manifesté avec plusieurs centaines de personnes dimanche dernier, pour faire part de notre solidarité, et dénoncer les propos calomnieux du ministère de l’Intérieur et du maire contre les résidents de ce foyer, majoritairement sénégalais. Aucune autorité n’a daigné se rendre à leur côté après ce drame… Le quartier situé non loin des anciennes usines Renault est en pleine gentrification, la spéculation bat son plein, la mairie mène une politique d’urbanisme agressive, et le foyer commence à dénoter au milieu des nouveaux habitants des immeubles de standing construits depuis peu ou en chantier.

On ne peut pas non plus écarter la piste raciste, car selon les déclarations du maire, des feux ont été allumés dans plusieurs autres foyers de la ville ces derniers temps, et le contexte préélectoral peut inciter des nervis à passer à l’acte...

Signalons enfin que ce foyer est en grève de loyers depuis 7 mois, et d’autres foyers Coallia sont en train d’embrayer, car la cuisine collective (existant depuis 40 ans) a été fermée autoritairement depuis le mois de mai. La direction de Coallia mène une politique de normalisation agressive…

Quel bilan du quinquennat finissant de Hollande sur les questions liées au logement ?

C’est à l’image du reste, promesses à moitié ou non tenues, politique du logement tendance libérale consistant à soutenir les promoteurs et les riches et à réduire les aides pour HLM, à rogner les APL... La répression qui frappe lourdement militantEs, mouvement social, classes populaires, notamment les habitants des quartiers populaires, n’a pas épargné le secteur du logement. En témoignent la hausse des expulsions locatives et les évacuations massives de campements ou de squats, les violences et les poursuites arbitraires contre les soutiens des sans-logis, l’impunité lorsque des policiers mutilent ou tuent…

L’encadrement des loyers, retardé trop longtemps, n’a pas encore fait effet, que la droite et l’extrême droite annoncent leur intention de l’abroger. Il aurait fallu une mesure d’urgence et franche de baisse des loyers, prolongé par un encadrement vigoureux et d’application immédiate… Mais l’exécutif est aveugle au point qu’Emmanuelle Cosse, en plein débat sur la loi Égalité et citoyenneté, déclarait en septembre au Sénat que « nous sommes sortis de la crise du bâtiment et du logement » ?

En fait, on construit beaucoup de « logements à profit », inaccessibles aux classes populaires qui, lorsqu’ils sont logés, ont de plus en plus de mal à payer leur loyer en fin de mois, étranglés par la baisse de leurs revenus, des APL, et une hausse constante des loyers…

Alors, pas de trêve hivernale pour les mobilisations ?

Comme chaque année, le DAL organise le Noël des mal-logés, et plantera le sapin le 25 décembre à 15 heures devant le ministère du Logement aux Invalides. La période électorale qui s’annonce sera aussi l’occasion de mener des actions que nous espérons fortes avec les mal-logés et leurs soutiens. Rendez-vous aussi le 5 mars prochain pour les 10 ans de la loi DALO, et le 1er avril pour la fin de la trêve hivernale des expulsions.

Dans le contexte d’attaque générale contre un des principaux acquis de la lutte des mal-logés et des sans-toit, il faut mobiliser. Contrairement à 2012, les mouvements de défense du logement ne sont pas en ordre de bataille, laissant la voie à une accélération des réformes contre les droits des locataires, des mal-logés et des sans-abri, déjà bafoués dans leur mise en œuvre. Il est donc nécessaire de rétablir les convergences et de trouver des axes d’action unificateurs.

Propos recueillis par Robert Pelletier